L'ennui l'a rendu promeneur. L'aigreur l'empêche de se mêler aux croisements de Morel et de leur fils. C'est une fierté que de les laisser parfois le distancer, dans leurs conversations, dans leurs contacts, lui qui ne ressent pas cette facilité de l'étreinte, du compliment ou du sourire. S'il se retranche dans sa demeure au long des heures, c'est parfois un choix de prudence car les Hurleurs flânent en bon nombre sur ces terres reculées. Et le Dragon pourrait s'en sentir acculé. Mais l'orgueil prend le pas, sur l'envie d'inertie, de lecture, de musique et le voilà dehors, ignoré des autres sur son fauteuil roulant, apprenant la difficulté de la route sous ses mains gantées. Jusqu'à l'enseigne, jusqu'au bric à brac qui dégueule sur le trottoir.

Et les rares goutte de pluie, habituelles au printemps, achèvent de le convaincre. Il passe le seuil non sans lutter et jette un regard peu amène au vieillard qui veille dans son coin, avant de faire quelques mètres dans ce dédale à l'odeur rance et ancienne.

Il y a là des livres, des bibelots, des bijoux et il en observe le détail comme un archéologiste au seuil d'une pyramide inviolée. Les mains sagement croisées sur ses genoux, devinant les dates qui se mêlent à sa trogne aux trop nombreux souvenirs. S'il n'a pas tout vécu, il connait tout de même l'Histoire. Y errait, parfois aux moments les plus graves.

Quand un rayon de lumière percute soudain l'arrondi d'un verre. La forme est travaillée, l'origine certainement italienne. Il en reconnait la silhouette avant même de l'apercevoir en entier. Fronce ses sourcils pâles. La table lui bloque le trajet. L'envie agite ses doigts comme un pianiste impatient de débuter son solfège. Si Morel était là, elle devinerait le mouvement et accompagnerait sa quête. Mais le voilà bel et bien seul, coincé dans son fauteuil, nourrissant une impatience qui gronde de colère.

C'est au vieillard qu'il s'adresse, pourtant son interlocuteur est autre.

« Voilà bien une échoppe peu pratique. »