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The day's gonna be long... really long.

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Lauren Turner
Lauren Turner

The day's gonna be long… really long.

La famille cassée

Janvier 1994
tw : Mort, violence, pensées noires, vulgarité, sexualité
Les yeux s'ouvrent difficilement face à la lumière du jour qui perce au-travers des rideaux. Emergeant doucement. Bien vite, la main vient se poser contre son crâne alors que la douleur lui lacère le front. Lauren respire, observe autour d'elle et essaie de se remémorer la veille. Elle se souvient des néons nocturnes, des basses de la musique et de l'alcool, beaucoup d'alcool. La pièce ne lui est pas du tout familière et comme à chaque fois, la panique la prend, à demie mesure d'abord, puis plus fort. T'as foutu quoi Turner ? Tu t'es fait qui ? A quel point t'es dans la merde ?

Une jambe bouge à ses côtés, la faisant réaliser qu'elle n'est effectivement pas seule. Un grognement masculin se fait entendre sous les limbes des draps. Lauren déglutit et se retourne lentement vers la silhouette. La chevelure foncée bouge sans que la respiration lente ne soit coupée. Alors elle réfléchit à toute vitesse, Lauren. Rester ou partir ? Tu te poses vraiment la question Turner ? T'es pas faite pour le small talk. Casses-toi, dans tous les cas tu le regretteras si tu restes.

Elle soupire discrètement, la main encore posée contre son front avant de s'extirper du lit sans faire de bruit. Elle retient sa respiration un instant alors que les grognements reprennent. Mais rien. L'inconnu semble perdu dans le monde des rêves et tant mieux. Elle attrape ses vêtements semés dans la pièce au gré de leurs ardeurs en se maudissant d'être aussi conne. Même si elle sait qu'elle a beau se maudire, elle recommencera à la prochaine soirée qui lui viendra en tête, lorsque les souvenirs seront trop violents et les idées dans sa tête trop présentes.

Elle repère son sac qu'elle attrape lui aussi au vol avant de filer vers l'entrée pour enfiler ses chaussures. Elle voit alors une photo contre le mur et elle pense reconnaître l'inconnu du jour. Souvenir flou dans une effluve d'alcool, parmi d'autres visages inconnus. Mais ce qui attire surtout son regard, c'est le calendrier à sa droite. La date sonne comme un tambour dans sa tête. Elle sait que ce jour lui dit quelque chose sans réussir à mettre le doigt dessus. Tout en réfléchissant, elle récupère son manteau qu'elle enfile à la hâte avant de sortir.

Enfin libre. L'air frais lui remet les idées en place bien que la lumière du jour l'éblouit et l'oblige à plisser des yeux. Le chemin lui paraît long, tandis que quelques regards se posent sur elle. Elle accélère le pas, referme son manteau et rentre la tête dans les épaules.

Le vent fouette, soulève sa chevelure fatiguée par la nuit mouvementée, lui arrache quelques larmes impossible à retenir face au froid et la fatigue, alors qu'elle pénètre enfin dans Sheperd's Garden. L'environnement lui paraît soudainement plus familier. Et puis la maison, au loin, et elle accélère encore pour fuir le froid.

Elle entre, accroche son manteau près de la porte, enlève ses chaussures à la va-vite pour les délaisser quasiment au milieu du chemin, sachant pertinemment que ça va énerver Jakob. Un raclement de gorge la fait sursauter, elle se retourne et l'aperçoit justement dans la salle-à-manger, assis à table, le repas prêt et en une fraction de seconde, tout lui revient en tête. La date, le repas, l'entraînement prévu. C'est aujourd'hui. Et vu ton état, Turner, va falloir assumer ! « Salut. » qu’elle ose lui lancer alors qu’elle devrait courber l’échine.

Ah là bravo Lauren. Une chose est sûre, cette fois-ci, t’es dans la merde. Et jusqu’au cou.
Jakob Morgensen
Jakob Morgensen

The day’s gonna be long

Daughters

Janvier1994
tw : mort, violence,

La cuisine était bien plus qu’un travail ; bien plus qu’un passe temps sympathique ou même bien plus qu’une passion.

Pour Jakob Morgensen, la cuisine, c’était de l’art.

Avec une précision de chirurgien, le chef inséra la pointe de la lame dans la viande, plongea, trancha. Lentement, finement, comme s’il s’agissait d’un acte sacré, un sacrifice pensé. La tête libre, le cœur en paix, l’artiste prenait son temps. Il faisait chanter son couteau qui brillait d’un éclat froid en détachant les chaires roses. Une chorégraphie métallique, un sonnet pour tueur. Puis les tranches furent déposées dans une poêle chaude, un crépitement soudain envahit la cuisine. Un feu vif pour luire en dessous de la sauteuse, un enchaînement de gestes rodés à la perfection : assaisonnement, une touche de vin, aromates déposés avec délicatesse. Un fumet puissant s’échappait de la décoction, un parfum à tordre le ventre des rassasiés. Délicieux, corsé. Baissant l’intensité du feu, il laissa la viande mijoter pendant qu’il dressait dans des assiettes des légumes élégamment taillés. Un regard à l’horloge disposée sur le mur en face de lui pour lui confirmer qu’il était plus que temps. Une main se tendit pour saisir une casserole, une autre pour y plonger une cuillère profonde et en sortir un jus à l’onctueuse couleur sombre. Un trait, une virgule dans le creuset de porcelaine. Encore quelques détails, essuyer la goutte de trop tombée sur le rebord puis d’un mouvement preste venir remettre l’essuie, bien plié, sur son épaule gauche. Satisfait, Jakob souriait de ce sourire absent qu’on lui connaissait. Un pincement des commissures, rien de plus. Il était heureux pourtant, et c’était assez rare pour le souligner.

Il fallait avouer que le jour n’était pas anodin. Pas de fête ni rien, un rendez-vous plutôt. Des retrouvailles pour les trois fantômes qui vivaient dans cette grande maison. Le temps où ils se retrouvaient tous les jours pour manger en famille était passé. Les filles étaient grandes désormais. Elles allaient et venaient, des courants d’air derrière les portes claquées. Le plus souvent, ils ne faisaient que se croiser pour des rencontres la plupart du temps tendues et difficiles. Entre elles et lui, entre elles deux. Les souvenirs de complicité étaient verrouillés par l’amertume d’un passé trop lourd. Parfois, Jakob tentait d’y remédier, mais sans méthode ses efforts étaient la plupart du temps loin d’être des succès. Il persévérait toutefois. Tenace.

Un repas partagé aidait à lier ; un entraînement à trois, comme autrefois, favoriserait peut être un rapprochement qu’il espérait.

Après avoir placé la viande sur les assiettes fumantes, le cuisinier les saisit et quitta la cuisine pour la pièce adjacente. La salle à manger était à l’image du reste de la maison : hétéroclite. Un tapi persan aux élégants motifs tissés dans un lainage épais, une table design dont le pied taillé dans un tronc de bois flotté massif était surmonté d’un plateau de verre, des lampes en sphères soufflées de toutes les couleurs. Aux murs, des œuvres d’art moderne, là abstrait, là figuratif, sur le fond sombre d’un papier peint sobre. Avec le temps, Jakob avait fait le deuil du bon goût pour ce qui était de la décoration de sa maison. Rare étaient les visiteurs de toute façon.

Déposant les assiettes en face des trois places assignées, il jeta sur la table un œil avisé. Tout était parfait. C’était un repas simple mais soigné. Des plats que ses filles aimaient principalement. Il ne manquait plus désormais que leur présence pour pouvoir commencer. Consultant sa montre, la Grande Mâchoire constata que l’heure du rendez-vous était arrivée, aussi jeta-t-il un regard vers la porte d’entrée qui ne s’était toujours pas ouverte. Ni Laurie ni Jo n’avaient passé la nuit ici, aussi les attendait-il à tout instant, franchissant le seuil de la maison. Pour patienter, car il ne savait pas ses pupilles fort ponctuelles, il se servit un verre à la carafe qu’il avait monté un peu plus tôt de la cave. Un vin sicilien dont il raffolait. Les puissantes notes fruitées restaient sur le palais pour le plus grand plaisir des papilles. Cassis, noisettes. Parfait.

Savourant ainsi son précieux nectar, il s’assit sur sa chaise face à l’entrée et attendit.

Il attendit.

Il attendit.

Le temps s’écoula ; les minutes passèrent. Les aiguilles tournèrent sur le cadran de la montre à son poignet. Une heure, deux...

Le verre était terminé depuis longtemps, les assiettes étaient froides. Il n’avait pas touché à la sienne. La faim était passée en même temps qu’une émulsion rageuse grimpait. Immobile, le dos posé contre le dossier de son fauteuil, il laissait seul son index glisser sur la ligne d’un couteau en argent. L’ombre du sourire avait quitté sa figure, ne restait plus que les yeux d’un gris froid qui fixaient toujours la direction de la porte avec une intensité à vous figer sur place. La déception avait laissé un goût faisandé dans sa bouche. La lassitude aussi.

Un soupire souleva ses épaules. Il était sur le point de se lever pour débarrasser quand enfin la porte d’entrée s’ouvrit pour laisser passer une Lauren secouée par les vents du dehors. La jeune femme passa presque comme si de rien n’était, se dirigeant directement vers l’escalier sans doute pour rejoindre sa chambre. N’allait-elle même pas s’arrêter pour s’excuser ? Etait-ce ainsi qu’il l’avait élevé ?

Il se racla la gorge afin d’attirer son attention. Elle se figea et daigna enfin tourner la tête vers lui. L’expression qu’il vit sur son visage, pleine d’une forme de stupeur en panique, lui fit comprendre que son retard n’était peut être pas intentionnel. Il n’en était pas moins blessant et révélateur du manque de sérieux de sa fille aînée. L’envie furieuse de lui faire la leçon lui titillait la langue. Elle n’était certes plus une gamine, mais à se comporter de la sorte c’était à se demander.

Quel père de remplacement exécrable il avait été.

« Le repas est froid... » dit-il d'un ton sec sans la quitter des yeux. L'entrainement était annulé, mais le vrai combat commençait.

Lauren Turner
Lauren Turner

The day's gonna be long… really long.

La famille cassée

Janvier 1994
tw : Vulgarité
Les salutations sont froides, au même titre que les assiettes visiblement. Quelqu’un d’autre se serait ratatiné face au regard sombre de Jakob, mais pas Lauren. Elle en a vu passer des plus noirs que celui-là, bien plus noirs, à force de le pousser à bout. Elle l’a entendu hausser le ton. Mais ce soir, c’est différent. Ce n’est pas que de la colère qu’elle perçoit au fond de ses iris. Elle y lit de la déception, ou même de la lassitude ? A force de faire des siennes, ne le mérite-t-elle donc pas ? D’user sa générosité et son calme.

« De toute évidence… » qu’elle lui répond sur le même ton, alors que ses pieds la mènent face à lui. Il est impressionnant, assis droit sur cette chaise au sein même de cette salle qui devrait accueillir des rires et des discussions joyeuses. Pas des règlements de compte. Pas des disputes. Constamment la même chose.

Son regard parcourt la table qu’il a pris le temps de dresser avec soin. L’odeur alléchante du repas la tenterait presque à plonger ses doigts dans l’assiette pour goûter les mets choisis avec soin. Un repas divinement cuisiné, comme à son habitude, un menu confectionné selon leurs goûts à elles, comme à son habitude, des filles absentes et sans aucune reconnaissance, comme à leur habitude. Elle s’en voudrait presque, Lauren, mais la fierté en armure, elle ne fléchira pas face à son père adoptif.

Elle attrape lentement le dossier de la chaise devant elle, s’accoude en avisant la troisième place vide. « Jo n’est pas là ? » qu’elle se risque à demander. Elle le sait pourtant que non. Que sa cadette est aussi ingrate qu’elle et qu’elle a sûrement découché elle aussi. « J’suis donc pas la dernière dans ce cas… » lancé avec un petit sourire narquois. Ne joue pas à l’idiote… Les limites de la patience infinie de Jakob se dessinent pourtant petit à petit au loin. Cesse donc de jouer avec le feu, Lauren… Tu risquerais de t’y brûler les ailes…

Le tic tac de l’horloge dans la pièce lui fait comprendre que le silence n’est pas une bonne chose cette fois-ci, que les bornes ont certainement été dépassées et que Jakob est arrivé au bout de sa patience. Elle comprend qu’il y aura certainement des conséquences à cet oubli et que le temps du jeu est passé. Elle ne courbe toujours pas l’échine pour autant et se risque même à s’assoir face au nordique. Les doigts glissent contre la fourchette, le regard se perd dans les mets de son assiette puis se relève vivement vers Jakob. « Ok… J’ai oublié… » Le ton n’est pas très sérieux et toute son attitude ne laisse en aucun cas paraître un quelconque remord.

Pourtant, elle en a, des remords. Beaucoup. A le voir assis face à son œuvre, le sentir déçu et en colère, voir que non seulement elle l’a délaissé mais que sa sœur également, ça fait mal. Très mal. Il mériterait reconnaissance et amour, joie et sourire.

Josephine Turner
Josephine Turner

The day's gonna be long… really long.

Sis’ and Daddy

Janvier 1994
tw : Violence, alcool, vulgarité

L’ivresse de la nuit dans les veines s’estompe. Le regard vif, aux pupilles dilatées, retrouve son calme et se laisse éblouir par le soleil matinal au-delà de Malfearn. Le froid dévore sa peau pâle, fait couler une larme sur sa joue, cristallise, s’écrase sur le sol gelé. Dans la rue, les travailleurs sont déjà affairés, courent contre la montre, après le temps. Mains dans les poches, le regard droit, le menton haut, la jeune Turner fait claquer ses bottes sur les pavés. Dans sa tenue de soirée, elle se sent bien. La honte éloignée depuis des années déjà, peu importe le noir qui bave sous ses yeux, le rouge de ses lèvres longtemps disparu à force de nombreux verres enchaînés et de longs baisers torrides. Peu importe ses cheveux en bataille et son teint terne. Elle marche et salive du café dont elle a tant rêvé alors qu’elle s’éveillait dans ce lit aux draps de soie bleu. Les traits de son amant d’une nuit s’effacent peu à peu de sa mémoire, pour laisser place à Son regard. Celui dont elle n’a pu échapper dans ses rêves, celui qu’elle a tant recherché dans la pénombre et la fumée du vieux bar. Un regard qu’elle quémande, un regard qu’elle supplie… et qu’elle ne reçoit pas. Pas comme elle le voudrait. La jeune Turner ne peut qu’observer ses lèvres se déposer sur d’autres, elle ne peut que sentir son coeur se briser alors qu’Elle lui fait signe, au bras d’un autre. Jalousie en extase, qui se repaît de sa détresse amoureuse.

La clochette du café résonne au-dessus de sa tête, alors qu’elle passe le pas de la porte tout en enlevant ses lunettes de soleil aux verres fumés violets. Elle se rapproche du bar à grands pas, s’y accoude. Les bouteilles d’alcool sur l’étagère face à elle tremblent, l’appellent. Mais elle commande un café, noir. Les pièces résonnent sur le comptoir alors qu’on lui dépose une tasse brûlante, une fumée délicieuse s’en échappant. Ses mains s’emparent de la tasse avant de se diriger vers la terrasse, choisir une table et s’y assoir. La chaleur du soleil matinal réchauffe son visage. Les tourments et les éclats de la nuit dansent dans son esprit, encore et encore. Son regard qu’elle ne parvient pas à oublier. Elle le devra, pourtant… Alors elle ignore ses troubles et se met à penser ce nouveau jour. En congé, elle rêve de s’enfermer dans sa chambre, guitare en mains, cahier vierge pour créer. Elle rêve d’un temps loin des murmures de ces voix qui brouillent son esprit, depuis quelques jours, incapable de les faire taire. Une perte de contrôle en écho à ses troubles sentimentaux. Stupide pouvoir d’augure… Elle rêve de se retirer, de ne voir personne… elle rêve de…

- Fuck…

Une voix résonne dans son esprit, écho d’une vieille conversation, prenant l’importance sur les pensées du barman et du vieil alcoolique à quelques tables. Une voix éraillée, une voix grave. Une voix presque sentencieuse et qu’elle entend déjà râler contre elle… Josephine a oublié un rendez-vous, de la plus haute importance. Un repas avec son père adoptif et sa sœur, un entraînement en famille.

- Je vais prendre cher…

Le café bouillant porté aux lèvres, elle le vide cul sec, se brûle la langue avant de se relever, de s’emparer de son sac et de s’enfuir en courant en direction de la maison. Elle le sait, elle se fera enguirlander pour son oubli… mais autant diminuer son retard impardonnable le plus possible. Alors elle court dans la rue, à grandes foulées, imaginant déjà le regard désapprobateur de son père. Les minutes sont longues, avant que la maison n’apparaisse devant elle. La course ralentit, elle passe le portail, ralentit encore. Devant la porte, elle se fige alors qu’elle entend des éclats de voix. Les cris dans la maison, les pensées dans sa tête. Un capharnaüm infernal dans l’esprit de la télépathe, les prémices d’une future migraine interminable. Sans la voir, elle imagine la scène. Lauren en retard, tout comme sa cadette, Jakob seul devant trois assiettes froides. Et la colère du père dans une pique glaciale qui provoque la dispute. Hors de question de rentrer dans l’enfer de ce conflit familial… Ces conflits qui l’ont toujours perturbée, dès sa tendre enfance. Des conflits qui ont contribué à ses trop nombreuses fugues… à son sale caractère. Les plus jeunes copient, involontairement ou non, les aînés. Des conflits dans lesquels il ne faut surtout pas interférer. Alors elle recule et contourne la maison, pour passer par la porte de derrière, passer par la cuisine. Peut-être pourrait-il croire qu’elle ne s’est pas réveillée… s’il n’est pas monté vérifier directement dans la chambre. Peu importe, dans tous les cas, elle préfère affronter son père à un autre moment que d’entrer dans le conflit qui a lieu actuellement dans la salle à manger. Alors elle ouvre la porte de derrière, entre dans la maison familiale à pas de loup, se retourne, referme la porte le plus silencieusement possible… Son coeur, dans sa poitrine, bat à tout rompre. Elle se tourne, fait un pas…

BAM

Le temps se fige, la jeune Turner ne bouge plus et observe la casserole sur le sol, tourner et tourner, jusqu’à s’arrêter net. Vide, heureusement, le métal résonne dans la cuisine.

- Et merde…

Pour la discrétion, on repassera…

Jakob Morgensen
Jakob Morgensen

The day’s gonna be long

Daughters

Janvier1994
tw : mort, violence,


Il est toujours surprenant, le moment de la bascule. On ne s’y attend pas à cette seconde discrète avant que n’éclate la tempête. Cet instant d’un rien, au dessus de la mer sombre. Le vent se retient, il inspire. Les poumons se gonflent d’un air aigre. Le murmure s’éteint. Pendant un battement de cil. Voilà. Rien.

Et puis alors tout se déchaîne. Les vagues en collines à retourner des briques, et la pluie qui drache en rideau de perles épaisses. Le grognement sourd et vrombissant du tonnerre. Les flashs aveuglants de la lézarde éclectique qui fend les nuages bas. Le hurlement. La rage. Le danger d’une folie sauvage.

Il fallait bien tout cela pour décrire ce qui se passait presque quotidiennement dans la maison. Une maison où les cris et les courants d’air se partageaient la place. Une maison où la joie n’était que passagère, comme la poussière que la douleur chasse. S’il y avait eu un moyen de la retenir, cette joie, Jakob y aurait consacré toute sa science. Il avait essayé, Dieu le savait comme il avait essayé. Il les avait gâté, à sa façon, sans déraison pour ne pas les pourrir. Il avait essayé d’être juste. Sans doute avait-il été trop rude, ou pas assez. C’était trop tard maintenant. Trop tard pour revenir en arrière, pour changer ce qui avait été fait. Il ne restait que le constat d’un échec. Celui de ne pas avoir réussi à les rendre heureuses. Ses filles. Pas liés avec lui pas le sang mais pour elle il aurait versé le sien jusqu’à la dernière goutte. Il aurait tout donné, tout combattu. Traversé l’océan et les charniers de l’enfer auquel il s’était voué. Une tâche loin d’être facile, il le savait dès le départ, dès la signature. Mais fallait-il que ce soit aussi difficile ? Que le combat dure encore jusqu’à ce jour ?
A cet instant ; à cette seconde où les cris pleuvaient encore une fois dans la salle à manger, Jakob se sentait fatigué. Il était las d’être en colère, las d’affronter ses plus proches alliées.

Comment étaient-ils passés d’un silence tendu à des vociférations hargneuses ? Il n’aurait pas été capable de le dire précisément. Sans doute que l’un avait proféré la remarque de trop, puis l’autre avait répondu un ton au dessus. A partir de là crescendo, il n’y avait pas longtemps à attendre pour voir voler les piques à défaut des assiettes.
Le mot acide, le regard coupant, des serpents sifflaient sur les langues une rengaine bien connue. On prend les mêmes et on ne change rien, vous connaissez le refrain.

Souvent, après ces affrontements stériles qui ne servaient à crever l’abcès que pour un temps de tranquillité relative, Jakob s’interrogeait : S’il les insupportait à ce point, si vivre avec lui, avec ses règles, ne déclenchait que de la haine et de la rancœur… pourquoi restaient-elles ? Ce n’était pas l’argent qui manquait ça non ! Entre l’héritage de leurs parents, leurs salaires et le chiffre d’affaire du restaurant, la petite famille écartelée avait de quoi payer un toit pour chacun. Pourtant, malgré les larmes et les cris, malgré les regards froids et l’explosivité permanente, jamais elles n’étaient parties. Josephine menaçait bien sur, plus souvent encore qu’il n’y avait de jours de pluie à Malfearn, mais c’était des menaces en appel de détresse plus que de réels projets concrets.
Alors pourquoi, si elles le détestaient tant que ça, rester avec lui dans cette maison qui semblait catalyser tout ce qui leur répugnait ? Il aurait accepté qu’elles souhaitent prendre leur envol. Il l’aurait accepté oui ! il les aurait aidé si elles le lui avaient demandé. Les voir partir du nid maudit qu’il avait tenté de bâtir pour elles l’aurait fait souffrir bien sur, comme n’importe quel parent qui voit ses enfants grandir, mais il ne les aurait pas retenu. Si c’était leur volonté. Parce qu’il les aimait, ces deux petites ingrates. Il les aimait à être dépassé, à être perdu, à ce plus savoir, à ne plus comprendre. Il errait dans la lande, vêtu de cette peau de père qu’il avait revêtu pour elles deux, ses écorchées, ses abandonnées, ses petites filles.

Pourquoi est ce que les choses ne pouvaient pas être simples parfois. Pourquoi ?

BAM

Soudain, un bruit stoppa tout.

Les hurlements.

Les pensées, les questionnements.

Tout.

Le silence retomba aussi vite qu’il s’était envolé dans la salle à manger.

Le regard de Jakob se tourna vers la cuisine. Ça venait de là. Il était persuadé de ne pas avoir laissé de fenêtre ouverte mais peut être que sa mémoire lui jouait des tours. Sans doute le chat de la voisine était-il encore entré pour voir s’il restait dans une casserole un peu de nourriture dont ici personne ne voulait. Ou peut être était-ce un animal d’une toute autre nature.

Le juron que son ouïe fine lui apporta le fit irrémédiablement pencher pour la seconde option.

Les dents serrées, le regard glacial, le danois contourna sa chaise et fit en un instant les quelques pas qui le séparaient de la porte de la cuisine. Les bruits de ses chaussures claquaient sur le parquet ciré. Actionnant la poignée, il ouvrit le battant pour découvrir, non sans surprise, sa fille cadette en train de ramasser l’air de rien la casserole qu’elle venait de faire tomber sur le carrelage dans un tintamarre fracassant.

Immobile, il la regarda quelques secondes. Elle portait les mêmes vêtements que la veille, et son maquillage avait largement coulé sous ses yeux où des cernes trahissaient le manque flagrant de sommeil. Ça aurait pu être un style vous me direz. Une nouvelle mode façon « pas réveillé » mais on ne lui faisait pas à Jakob. Pas à celui qui avait tenté d’élever cette petite effrontée. Elle venait de se lever après avoir encore une fois découché! Après avoir encore une fois passé la nuit à boire et à trainer Dieu sait où.
Et combien de temps encore avait la prochaine excuse sans conviction ? Combien de temps avant la remarque de trop qui relancerait la machine des hurlements et qui se finirait en porte claquée ? Le hurleur n’avait même pas besoin de son pouvoir pour savoir comment ça allait se passer. Ils se mettraient à nouveau à crier, les uns sur les autres, à l’unisson dans une expression stérile de leur incapacité à se parler vraiment.

Pourquoi fallait-il qu’il en soit ainsi ? Pourquoi ?

Le regard de la Grande Mâchoire resta encore quelques instants sur Josephine puis passa à Lauren qui gardait l’œil noir et les traits tirés de celle qui n’en à pas fini de hurler.
Lentement, sa main droite remonta et il pinça l’arrête de son nez entre son pouce et son index, fermant les paupières quelques secondes, cherchant à retrouver le calme et la raison là où n’y avait que de la tristesse et de l’amerture.
Il était si fatigué.

Si fatigué.

Si seulement tout ça pouvait seulement s’arrêter.

« Vous savez quoi... » commença sa voix dans un murmure à peine soufflé mais au ton glacé. Sa main retomba le long de sa cuisse et il redressa la tête. Il les regarda à nouveau, toutes les deux. Tout ce qu’il avait de plus précieux. Tout ce qu’il chérissait et qui en retour le haïssait.

« Vous gagnez... » Plus de cris, plus d’émotion. Juste des mots aussi sec d’une branche qu’on brise. Et chaque syllabe bien séparées, en coutelas de vérité. « Au diable tout ça… faites bien ce qu’il vous plaira, je n’en ai cure... »

Et sur ses mots, il partit, les laissant là. Il tourna le dos, traversa la salle à manger en abandonnant le repas qui était de toute façon depuis longtemps froid. Il n’avait pas l’âme de se battre, pas aujourd’hui, pas contre elles en tout cas. Elles n’étaient plus des enfants à qui il se devait de faire la leçon. Elles étaient des adultes ! Peut être devait-il commencer à les voir comme tel.

Arrivant dans l’entrée de la belle demeure victorienne, Jakob se saisit de son paquet de cigarettes qui se trouvait sur une commode et sans prendre la peine de passer un manteau ou une écharpe, il sortit de la maison et descendit le perron. Là, plutôt que de remonter l’allée qui menait au portail, il bifurqua dans le jardin et marcha quelques mètres avant de s’immobiliser et d’actionner son briquet.

Il faisait froid. Un froid mordant. Pourtant, le scandinave le sentait à peine. Tout ce qu’il sentait, c’était le goût âcre de la fumée sur sa langue, et la brûlure de ses propres échecs. S’il n’avait pas eu le cœur aussi sec, peut être aurait-il pu pleurer de cette situation insensée. Il ne savait plus quoi faire, il ne savait même plus s’il devait seulement faire quelque chose. Il était perdu. Aussi, comme souvent dans ce genre de cas, leva-t-il les yeux vers les nuages au dessus de lui. Un regard en supplique, non pas à Dieu qui n’avait sans doute que faire des malheurs des hommes, mais aux fantômes qui rôdaient dans les airs.

*Helen… aide moi...*

Il n’y avait bien sur personne pour lui répondre. Rien que le vent en maigre réconfort. Rien. Il n’y avait rien. Rien ni personne. Rien à faire. Rien.

DING

Jakob fronça les sourcils.

DONG

Etait-ce bien le chant d’une horloge qui venait de sonner à ses oreilles.

DING

Au milieu du jardin pourtant, il n’y avait rien. Que lui, et l’herbe haute qui battait la mesure sous les bourrasques.

DONG

Il entendait pourtant. Aussi clair que si le balancier était dans sa propre tête. Instinctivement, il regarda le bout de sa cigarette désormais bien entamée. Pourtant. Mais… Non! elle revenait, elle se reformait. La fumée entrait à nouveau à l’intérieur et le tube grandissait. Comme si on revenait en arrière. Comme si…

Jakob se tourna et leva le visage vers la grande maison victorienne.

Quelque chose d’étrange se passait.


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