C’est un après-midi nuageux aux milles et une textures sur lequel se porte ton regard à travers l’une des fenêtres du garage. Tu ranges quelques outils sur ton plan de travail, petit sourire aux lèvres.

Ton dernier client vient de quitter ton garage et tu jettes un coup d’oeil sur ton agenda, notant rapidement le montant encaissé sur ce rendez-vous, satisfait de ta journée. C’est une de celles où tu remplis tous tes objectifs, de quoi assurer la pérennité du garage comme de tes finances. Ton regard glisse sur la note en bas, comme quoi Tanveer t’a prévenu qu’il passerait - probablement pour une commande de pièces et probablement pour son tracteur - et tu hausses un peu les sourcils. Tu vas finir par te demander si l'homme n'essaie pas de te faire prospérer vu à quelle fréquence il passe au garage. Peu importe, tu apprécies sa présence et il contribue à remplir tes coffres.

Tu attrapes ta bouteille d'eau pour prendre une gorgée, les fesses appuyées contre un plan de travail, la porte du garage grande ouverte dans l'attente de l’homme. Après tu pourras fermer le garage et monter chez toi pour préparer le repas, probablement finir poser devant la télévision avec ton assiette.  

Okay. Tu passes peut-être un peu trop souvent ici.

Pour ta défense, entre ton vieux pick up et la machinerie sur la ferme, tu as régulièrement besoin d'un bon mécano. Mateo étant le meilleur en ville, c'est simplement normal que tu passes presque aussi fréquemment à son garage qu'à l'épicerie. Et non, ce n'est pas du tout parce qu'il est vraiment sympa. Encore moins parce qu'il est mignon et que ton coeur bat plus vite et plus fort quand tu le vois sourire, lui et ses grands yeux, ses cheveux en bataille et ses mains marquées par le travail manuel. Nope, aucune chance.

Ce n'est pas non plus comme si qui que ce soit d'autre que Mateo lui-même pouvait le remarquer pour te le souligner ou s'en moquer. Après tout, le mécanicien est ta principale source de socialisation humaine, avec la caissière du marché et le mec chez qui tu te fournis en matériel et nourriture pour les animaux sur la ferme.

De toute façon, aujourd'hui, tu arrives au garage en sachant que ce sera rapide, comme tu ne lui apportes pas de problème à régler dans l'immédiat. Sortant de ton pickup vêtu de ton jean et d'une chemise bleue et grise, tu t'avances vers la grande porte ouverte et trouve Mateo à boire une gorgée d'eau contre son plan de travail. Tu as alors un petit sourire en coin et avance vers lui.

"Hey. Comment tu vas aujourd'hui ?"

Ta dernière visite remonte à... vendredi dernier? Donc quand même une semaine. Alors ça passe, non?

Ton regard se pose sur lui quand il entre dans ton garage par la grande porte laissée ouverte et tu poses ta bouteille sur le plan de travail, un sourire glissant déjà sur tes lippes alors que tu te redresses pour t'avancer vers lui. Depuis le temps qu'il fait partie de tes clients et qu'il passe plus qu'à son tour, vous avez laissé tomber nombre de formules de politesses pour un discours plus familier qui te convient fort bien.

"Hey! Bien, bien, et toi, comment tu vas ?"

Ton intonation se fait un peu plus taquine quand tu continues.

"Ton tracteur fait encore des siennes? J'ai pas hâte que tu le changes, c'est qu'il fait bien rouler mon chiffre d'affaire."

Et puis il fait en sorte que Tan passe ridiculement souvent et tu vas pas dire que c’est pas agréable. L’homme pourrait presque devenir un ami, pour peu que tu y mettrais un peu d’effort et l’idée est attrayante.
 

Tu souris en coin en réponse au sien, de tes sourires typiquement subtils qui n'atteignent plus jamais tes yeux. Pourtant, tu l'aimes son sourire, et il est peut-être une des raisons pour lesquelles tu reviens régulièrement à son garage plutôt qu'un autre. Tu aimes aussi la familiarité sans pression qui s'est installée depuis les années entre vous, toi qui n'as jamais aimé les formalités. Mateo n'est pas tout à fait un ami, au sens classique du terme, mais il est ce qui s'en rapproche le plus pour toi, soit une de tes seules connaissances de longue date qui ne t'a pas renié et dont tu peux apprécier la compagnie, même si tu le tiens encore à un bras de distance.

Mais ce que tu aimes encore plus, d'ailleurs, ce sont les intonations taquines à la suite de ses mots. L'amusement fait alors un instant briller tes yeux sombres qui ne s'animent plus aussi souvent qu'avant, et ton sourire se fait un peu plus large et sincère malgré le grognement agacé qui précède ta réponse.

"Hmpf. Ça va, mais yeah. C'est encore la transmission qui fait un caprice, alors j'aurais seulement besoin de commander une pièce, si tu as le temps?"

Fichu tracteur. Tu as une petite grimace, lui fait signe de te rejoindre alors que tu récupères le bon catalogue afin de pouvoir passer commande. Tu sais que parmi les nombreuses pièces stockées dans ton garage, il n’y a pas de quoi changer la moindre pièce sur la transmission de son tracteur.

En vrai, tu as beau savoir comment entretenir et réparer ce type de véhicule, ce n’est clairement pas pour ça qu’on fait généralement appel à tes services, aussi tu ne peux pas vraiment te permettre d’investir dans un stock de pièces pour les deux ou trois tracteurs dont tu t’occupes, d’autant plus qu’ils ne sont pas tous de la même marque. Et quant bien même Tanveer serait particulièrement un bon client.

”Biensur, c’est l’histoire de cinq minutes et tu m’as prévenu que tu passais, en plus. Bon, c’est pas une surprise, je n’ai pas les pièces en stock, mais normalement, je peux avoir sous 3 à 5 jours ouvrables. Est-ce que ça te convient? Et tu sais exactement quelle pièce tu as besoin?”

Tu consultes rapidement l’index du catalogue avant d’aller à la bonne page. Tu connais par cœur la marque comme le modèle du fameux tracteur, n’ayant pas besoin de la lui redemander. Tu tires à toi un bloc note, notant le nom de Tanveer avant de lever les yeux vers celui-ci, attendant d’en savoir plus.

"Yeah, bien sur, aucun soucis, ca ne presse pas."

Tu peux très bien continuer de travailler à la main en attendant, bien que ton tracteur te facilite normalement grandement la tâche et t'évite de te briser le dos en transportant d'énormes balles de foins.

Tu t'approches, tentant de ne pas être trop hyper conscient de votre proximité alors que tu te penches au-dessus de son catalogue pour observer les différentes pièces et tenter d'identifier la fautive à remplacer. Parce qu'avec cette dite proximité, son odeur devient plus marquée, surtout celle de son shampoing que tu devines avoir une touche de cèdres et de sauge, en plus de ses émotions qui te deviennent plus claires. Okay. Ça fait trop longtemps que tu n'as pas baisé si tu remarques ce genre de détails juste parce que tu es près d'un mec sympa et vraiment très mignon. Urff. Concentre-toi, Tan, bordel.

Tu lui montres ce dont tu as besoin et lui parle de tes soucis, passant de la description du bruit strident qui t'a alerté du problème à la description visuelle de l'état problématique de la pièce.

"Je te l'emmènerais bien pour que tu puisses régler ses problèmes une bonne fois pour toutes, mais ça va être difficile de faire entrer un tracteur ici."

“Parfait.”

Tanveer se rapproche pour regarder ton catalogue, se penchant près de toi et tu le regardes du coin de l’oeil, attendant qu’il t’en dise plus. Et tu fronces bientôt les sourcils, pensifs, alors qu’il te décrit le bruit qu’émet son tracteur, mais aussi l’état de la pièce qui pose problème. Tu notes le code de la pièce, réfléchissant à tout ça et souffle un peu.

”En fait, c’est moi qui vais me déplacer, si ça ne te gêne pas. Comme ça je pourrais m’occuper de changer la pièce et voir de mes yeux ce qu’il en est.”

Ça te semble être la meilleure façon de procéder, peu friand de juste laisser tes clients se démerder avec une pièce neuve et leurs problèmes.

Et puis tu sais bien que le délais de livraison de la pièce va faire en sorte qu’il va devoir réaliser des tâches physiques qu’il n’a pas besoin de faire normalement, alors si en plus tu peux passer le jour ou tu reçois la pièce pour la changer directement, ça lui sauvera du temps et de l’effort. Et puis Tanveer s’inscrit largement dans tes meilleurs clients et tu l’apprécies en tant que personne, alors tu as envie de l’aider dans la mesure de tes moyens.

Tu hausses les sourcils, surpris par la proposition. Tu hésites, incertain de vouloir qu’il se dérange à ce point pour une petite réparation que tu saurais faire toi même une fois que tu auras la pièce, mais aussi parce que tu ne recois jamais vraiment de gens chez toi, sinon les rares personnes qui viennent pour des raisons professionnelles. Ta ferme, c’est ton monde isolé, et si tu te forge l’image d’un homme qui souhaites cette vie, ta solitude te pèse en secret. Rationnellement, tu te dis aussi que peut-être, s’il vient sur ta ferme, il pourra peut-être régler plus que ton soucis de transmission. Tu te passes la main derrière la nuque, entre embarras et envie d’accepter.

“Tu es certain? Je ne voudrais pas te déranger, et ca fait loin un peu, ma ferme est en marge de la ville.”

Tu le questionnes aussi du regard, surveillant ses réactions pour ne pas rater un signe qui te dirais que le voyagement l’emmerde.

"Oh, je sais, mais c'est pas un souci. C'est pas si loin non plus. Et puis depuis le temps que je lui achète des pièces, j'veux bien le rencontrer, ton tracteur."

C'est dit avec humour sur la fin, même si tu essais encore de déterminer si c'est une façon de te faire comprendre qu'il n'a pas envie de toi chez lui ou si c'est seulement de la politesse que d'essayer de t'éviter le dérangement. Tu as vu sa surprise, son hésitation, la main qu'il passe contre sa nuque, embarrassé. Tu veux pas non plus aller chez lui si ça le rebute.

"Après, si ça te dérange que je passe, c'est correct. Je t'appellerai quand j'aurai reçu la pièce pour que tu passes la chercher."

Tu lui offres la porte de sortie dans ta grande générosité -et ta grande sensibilité- alors que tes doigts jouent machinalement avec ton stylo pour mieux évacuer l'inquiétude que tu ressens à l'idée de le déranger et de mal comprendre ce qu'il y a entre vous deux. Peut-être que c'est que dans ta tête et que tu lui es désagréable et qu'il se passerait bien de t'avoir dans les pattes.

Il plaisante, et ça réussi à t'arracher un sourire en coin. Okay, peut-être que ce n'est pas une si mauvaise idée que d'accepter qu'il vienne chez toi. Tu vas devoir faire un peu d'ordre dans la grange pour qu'il puisse travailler et... ouais, un peu d'ordre dans ta maison aussi, parce que s'il a besoin d'aller à la salle de bain ou s'il veut prendre un thé ou un verre, tu vas définitivement être embarrassé s'il y a une pile de vaisselle sale sur le comptoir ou de vêtements à plier et ranger sur le canapé.

Hell, est-ce que tu as de quoi recevoir quelqu'un pour un thé ? Tu te gères avec des tasses à café, sans même de théière, alors tu devrais sûrement déterrer les vieilles boites de vaisselle de tes parents que tu n'as qu'à peine toucher depuis des années? Mais est-ce qu'il aime le thé? Il semble plutôt boire du café, quand tu le vois, non? Fuck, tu as perdu toute foutue conception de comment bien recevoir quelqu'un chez toi et ça va être le festival du malaise, c'est ça ?

Tout à ta propre spirale interne qui va t'énerver et te faire grogner contre toi-même en rétrospective, tu n'as pas remarqué les signes de sa dérape mentale à lui, et tu clignes des yeux à sa dernière phrase. Tu le regardes alors avec des questions dans les yeux, relevant enfin ses gestes de nervosité et comment il évite ton regard, puis ta bouche parle avant que tu aies formulé une réponse dans ta tête.

"Ça ne me dérange pas, au contraire. Je suis pratiquement toujours chez moi, alors lâche-moi simplement un coup de fil quand tu peux passer."

Il à l’air de capter ta débandade mentale même si tu aurais préféré que ce ne soit pas le cas et tend un filet pour te rattraper. Tu clignes des yeux avant d’avoir une petite grimace.

”Okay, parfait, je t’appellerai quand j’aurai la pièce pour qu’on détermine quand je peux passer.”

Okay, tout se passe bien. Tu inspires lentement, un peu embarrassé face à la situation dans laquelle vous vous êtes plongés tous les deux. Mais comme Tanveer n’a pas cherché à se débiner, peut-être que tout n’est pas perdu.

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[3 jours plus tard.]

Tu as appelé Tanveer et il t’as dit que c’était bon pour passer ce soir, alors dès que tu as terminé le dernier client de ton agenda, tu fermes les garages, prenant vaguement le soin de te débarbouiller avant d’embarquer dans ta voiture avec ton petit coffre à outils pour conduire vers chez Tan.

Et de devoir revenir au garage pour récupérer la pièce. Bordel.

Tu arrives donc une quinzaine de minutes en retard sur l’heure annoncée, un peu gêné. Tu descends de ta voiture, portant un regard sincèrement intrigué sur l’endroit. C’est… paisible. Agréable. Tu aimes automatiquement l’endroit et souris quand Tanveer sort pour venir à ta rencontre.

”Hey, désolé, je suis un peu en retard. Ça va ?”

Tu es énervé contre toi-même d'être aussi nerveux et d'avoir passé les 45 dernières minutes à regarder vers le bout de la route pour voir si Mateo allait arriver. Ça et les trois heures précédentes a compulsivement mettre de l'ordre ta maison et l'étable, réarranger des détails inutiles et te lancer des regards dans toutes surfaces réflectives en te demandant si tu n'aurais pas mieux fait de mettre ta chemise noire plutôt que la rouge. For fuck's sake, quoi.

Tu ne reçois pas souvent chez toi, plus maintenant du moins, mais ce n'est pas comme si Mateo était un invité venu pour ta compagnie. Alors vraiment, tu devrais te calmer. Tu ne devrais pas non plus t'inquiéter de ton apparence, toi qui es vêtu pour travailler dehors sur la ferme et qui doit sentir le foin, l'herbe mouillée, le mouton et le cheval.

Au final, c'est Gin et Whisky qui t'alertent de l'arrivée du mécano en jappant et courant joyeusement vers sa voiture alors que tu t'occupais à changer l'eau de Moonshine. Avec ta nervosité et les tâches de la ferme, tu n'as même pas remarqué son retard. Tu t'avances alors vers lui en essuyant tes mains du mieux possible sur ton jean avant de lui tendre la main.

"Hey. Ce n'est rien, je n'avais même pas vu l'heure."

Tu lui offres un sourire que tu espères moins maladroit et awkward que tu as l'impression d'être.

"Je suis content de te voir. Tu n'as pas eu trop de mal à trouver?"

Ta ferme est un peu paumée au milieu de nulle part, il faut dire, mais tu n'échangerais pas son cadre unique pour rien au monde.