Maelström
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Puzzle(s) ft. Dafydd

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Enid Murdoch
Enid Murdoch

Puzzle(s)



tw : vulgarité / obsession / alcool



L’après-midi se morfond dans un ennui cotonneux. Et comme c’est de coutume dans tous les bouges du monde, Enid essuie des verres d’une propreté douteuse avec un torchon si graisseux qu’il aurait pu tenir la comparaison avec la couenne d’un jambon.

C’est sa vie. C’est comme ça. C’est pas mieux qu’à un autre endroit, c’est sûr. Pourtant, l’Existence lui a fait si souvent comprendre que le malheur pouvait vous faire descendre dans des culs-de-basse-fosse bien plus sombres et profonds qu’un pub gallois un peu poussiéreux. Alors, elle s’interroge pas sur la répétitivité de la tâche.

Le pire n’est jamais décevant qu’on dit.

Son job finalement, c’est juste de remplir les estomacs, de permettre à des yeux de se satisfaire et à contenter  les gosiers à sec afin de faire passer une pilule que d’aucun jugeait bien trop amère.

Need aime sa tranquillité. Le bruit des bûches qui craquent en copeaux et en éclats d’or au creux de l’âtre encrassé de la cheminée. La chaleur familière et réconfortante qui étreint ses os. Elle en ronronnerait presque. Ce que fait allégrement Marie Antoinette, une chatte aussi gironde que matoise  qui avait élu domicile sur le comptoir depuis son arrivée. Arrêtée dans son élan par un son imperceptible aux oreilles humaines, elle feule avant de se terrer entre les jambes de l’inénarrable mixologue.

La porte grince et un filet de lumière laiteuse brise la pénombre confortable des lieux. Gueule d’ange se tient dans l’embrasure, l’air aussi hagard qu’un cerf pris entre les phares d’une voiture. Ca la fait ricaner un peu, Need. C’est qu’il la suit depuis un certain temps déjà. Faut dire qu’elle a œuvré à lui attirer l’intérêt. Pas qu’elle est quelques attributs à vendre. Elle est pas vilaine, la bougresse mais c’est pas de ça qui s’agit entre eux.

Y a comme un lien de parenté.

Un truc qui les attache. Faut dire que cet éléphant dans la pièce occupe une très belle place dans son tableau de chasse. Comment que ça se faisait qu’il ait la même trogne que l’Aversaire ? Elle s’est demandée quand elle l’a vu la première fois. Puis à force de se farcir le parcours touristique de la Ville, elle a fini par se dire que c’était rare qu’un unseelie soit si spécifiquement attaché à l’histoire d'un lieu aussi chiant. Need l’a bien vu perdre patience lorsqu’elle le payait en pièce d’un pound – et cela l’avait persuadée de son caractère entièrement humain.

Il est donc là.

Sa curiosité piquée et les bras ballant.    

Ils s’observent en chiens de faïence. Les deux faces fragmentées d’une même pièce. D’un geste machinal, elle lui sert une pinte de blonde et la pose d’autorité devant lui.

« Je me demandais quand est-ce que vous oseriez pousser les portes du Ragged. Bah, bienvenue ici, alors. »

Devant elle, un verre d’eau.

« Vous m’en voudrez pas si j’vous accompagne pas. M’est avis que mon patron me foutrait une rouste si j’osais picoler pendant l’service. Moi c’est Enid Murdoch. Tout le monde m’appelle Need. Et vous, le petit guide, c’est quoi, vot’ nom ? ».

Bien entendu, elle le connaît déjà mais bon ça serait une drôle de manière de fendre la glace que de lui annoncer à jeun qu'elle avait constitué un petit dossier sur son cas. Ca faisait agent secret ou flic, ce qui était encore pire. Valait mieux s'en tenir aux banalités d'usage, après tout, c'était peut-être juste une erreur de plus à barrer sur le mur de ses lamentations.

"Buvez, je vous en prie. J'empoisonne jamais l'client au premier verre. Parole de scout."



Dafydd Lloyd
Dafydd Lloyd
"Buvez, je vous en prie. J'empoisonne jamais l'client au premier verre. Parole de scout."

Tu ricanerais presque. Parce qu'on aurait laissé pareille gamine contaminer les gentilles blondinettes des girl's scouts? Le papier d'aluminium de ton paquet de cigarettes se froisse et une clope apparaît tout aussi machinalement entre tes lèvres que la bière sur le comptoir.

Perdu? Peut-être, oui. Tu as l'impression de perdre complètement la carte depuis que l'albinos est apparu, dans un de tes tours. Ange. Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas? Qui est humain? Qui ne l'est pas réellement? Peux-tu seulement faire confiance en tes propres perceptions?

Tu as fait ce que tu as toujours fait, pour te raccrocher à la réalité et t'enfoncer dans tes oeillères. Des conneries.

Tu avances d'un pas, dans la pénombre. Tu as laissé Thackery Binx à la maison, certain de le retrouver crachant et griffant, comme la dernière fois. La flamme de ton briquet jette un instant sa lumière sur tes joues creuses et tu relèves la tête, jetant ta fumée et tes prunelles de malachite autour de toi. Sur le comptoir sale. Sur les verres graisseux, les chaises dépareillées, l'âtre noircie et les décorations poussiéreuses.

Siarl te l'a raconté, un soir. Comment lui et Ianto trouvaient le vieux à chaque soir. Votre père affalé sur ces comptoirs dès la boucherie fermée, parce que sa femme l'avait quitté pour ton géniteur. La belle excuse. Il n'avait jamais cessé de boire, même après son retour. Et c'est toujours dans ces bouges qu'on le retrouvait. Tu le vois presque ton père, affalé près de la barmaid à pleurer sa douce Heledd perdue dans les bras d'un autre. Tu serres les dents. Si tu n'étais pas qu'un pauvre ivrogne, Brian. Si tu l'avais laissée poursuivre son rêve de devenir actrice au lieu de l'obliger à se salir les mains. Si...

Si quoi? Serais-tu là, si tout ça?

Tu inspires. Reviens au présent, Dafydd..

La barmaid. Tu la dardes un moment, d'un regard noir. Le Ragged, ce n'est vraiment pas ton endroit de prédilection. Il n'y a qu'à te regarder, toi, ton eyeliner noir, ton T-shirt troué des Cocteau Twins, tes jeans noirs un peu trop bas sur les hanches, pour le savoir. Le genre d'endroit où on s'attend à trouver un gringalet comme toi, ce sont les clubs de Londres, plein de sueur, de muscles, de contacts sous les lumières ultra-violettes et de musique électro. Pas une taverne miteuse perdue dans le fond du Pays de Galles. Mais il a fallu qu'elle se pointe une fois à ton tour. Et puis deux fois. Et puis trois, et puis quatre... Tu n'es pas con. Pourquoi cherche-t-elle ton attention?

Tu t'avances, donc et t'assoie nonchalamment au bar. Tu détonnes. Pourtant il n'y a qu'elle, il n'y a que toi et un vieux barbu assis à une table vide, dans le fond*. Un après-midi comme un autre.

Tu bois une gorgée du verre qu'on a posé devant toi. Fade, tiède et aigre comme ce qu'on s'attendrait à boire ici.

"Vous ne seriez pas la première, hein."

Moment de silence. Tu regrettes toutes les mauvaises vodkas que tu as pu boire, dans ton existence. Et il y en a eu beaucoup. Tu grimaces.

" Vous savez ce qu'on dit, sur le Ragged? C'était dans les années 30 ou 40. Le propriétaire voulait que ses clients boivent plus, il a mis un truc, dans la bière, pour la faire mousser davantage. C'est le vieux Joseph qui est tombé le premier, suivi du p'tit Jones. Certains disent qu'ils n'ont jamais vraiment quitté le bar."

Petit rire. Tu te retournes vers le vieux et lui fait un clin d'oeil, fier de ta petite histoire, avant de revenir vers ton interlocutrice.

"Mais ouais, ça, tu le savais. Tu l'as entendue combien de fois, durant mes tours? Huit, neuf fois? À ce compte-là, je crois que tu sais le prénom du p'tit guide, Need."

Une gorgée, une autre grimace.
"Tu as de la vodka, à la place? Du gin? N'importe quoi que cette merde? J'ai de quoi payer."

Petite étincelle maligne. Elle regrettera ses pièces d'une livre sterling, ça, tu te l'ai promis, avant de rentrer ici.

"Alors... Need. Je suis là. Dis-moi que ce n'est pas pour ces histoires de cons, que tu ramasses la petite monnaie? Tu me veux quoi?"

Hésitation.

"Tu es... comme lui, c'est ça? Comme Ange?"

___

*Le vieux n'est évidemment pas là, aux yeux des vivants ;)
Enid Murdoch
Enid Murdoch

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tw : vulgarité / obsession / alcool



Elle peut pas s’empêcher de lui rendre son regard, le toisant de ses prunelles de charbon où la flamme de l’intérêt brûle aussi fort qu’une ampoule de cent watts. Son index bagué d’argent à l’ongle d’obsidienne trace lentement le bord du verre, son autre poing soutenant un menton délicat. Il pourrait prendre ça pour de l’intérêt mal placé, une sorte d’insistance malsaine, rapport au fait que dans les bouge comme le Ragged, sa dégaine de petit minot trace direct sur sa jolie gueule une cible pour les bas du front de passage.
Need, elle s’en carre.

Vraiment.

Ce qu’il ramène dans son pieu ou ce qu’il le fait bander dans les nuits de solitude, ça la laisse de marbre. Alors, si son petit cul serré dans un jean taille basse, ses goûts musicaux douteux et son regard de panda lui crient qu’ils ne jouent pas pour la même équipe, elle juge pas. Après tout, c’est pas après son fruit défendu qu’elle courre, ni après ses histoires bonnes à impressionner les grands-mères et les touristes de passage. Alors, elle hausse les épaules –  lui est avis que la bibine est pas vraiment meilleure depuis. Elle dit ça, presque à voix basse, en sortant une bouteille poussiéreuse des tréfonds du bar.

« C’est la gnôle du Vieux. »

Le verre claque sur le bois patiné. C’est comme un argument d’autorité. Elle sait pas avec quoi il a distillé l’breuvage, mais c’est pas de l’ordre de l’Humanité – un équivalent liquide d’un direct au foie. Un concentré de tristesse et de cirrhose.

« Je garantis rien. Et si ça t’envoie à l’hosto, j’m’en dédouane. »

Solennellement, Need lui sert un verre qu’elle fait glisser devant sa trogne d’un geste délié. Elle lui dira pas que certains y lisent la vérité – qu’il suffit de regarder à travers le verre huileux pour que l’épiphanie vous frappe ou ptêtre bien la folie, c’est selon – le reflet d’une même réalité, qu’on disait.
Elle attend qu’il en prenne une gorgée pour en faire de même. L’eau est fraîche et plate sur sa langue, y’a toutefois un écho, une brûlure lointaine qui lui anesthésie les papilles et l’âme dans un grésillement neigeux.

Un relent tourbé de fête foutue et de nostalgie amère sur ses lippes cerise.

« Pourquoi ? Une gonzesse comme moi peut pas s’intéresser à l’histoire du bled ? J’ai pas la carrure d’une historienne ? Pt’être que c’est ce que j’aime, les anecdotes pouraves et les fantômes de poivrots ? Ou bien tes six heures affriolants ? Peut-être que je t’ai attiré ici pour te manger ? Qui sait ? »

Un sourire vicieux a glissé, découvrant les crocs incroyablement blancs du limier des Turner. Puis, un rire lui ébranle la poitrine. Fort. Il emplit l’espace. Parce que l’idée est absurde, n’est-ce pas ? Qu’une annihilatrice puisse se consacrer à autre chose que la chasse. Lui, il a pas idée, pour sûr, que sa vie a été écrite pour servir la cause et qu’elle puisse avoir une aspiration autre est aussi inconcevable qu’hérétique.  

« Te fais pas de bile, va. Je ne mange pas de ce pain-là. »

Une gorgée. Elle reprend.

« Chais pas qui est ce gars, Ange. Mais, je m’enorgueillis d’appartenir à une espèce unique. Toi, ptit guide, tu l’es pas. Unique. Te vexe pas. Là, tu fronces les sourcils, ça te fais des rides. Ca gâche tout, mon mignon. Et faut pas anéantir son fonds de commerce. Tu sais pas, ça ? On t’a pas appris, de là où tu viens. On a tous quelque chose à vendre, quelque chose que les autres sont prêts à payer cher. Ca se garde précieusement – faut le négocier avec doigté. Tu viens ici, et tu veux des réponses. J’vais pas faire de palabres. J’vais te donner ce que tu cherches. Ce que tu veux. Sans marché et sans prix. »

Sur le zinc, Enid, elle dispose ses lames. Deux photographies face cachées qu’elle a tirées de la poche d’une chemise élimée.

« Tu n’es pas unique et cela fait de toi, un objet rare. »

La première photographie est dévoilée d’un geste rapide. Ancienne. La couleur s’est fanée et les plis sont profonds dans le papier qui est devenu souple à force d’être manipulé. Une frappante gémellité. Nulle possibilité de retour.  

« Vois-tu, lui et moi, on a des choses à se dire. On est de la famille, comme qui dirait. Et toi, joli garçon, Castor ou Pollux, tu es ma réponse et je suis ta question. »


Dafydd Lloyd
Dafydd Lloyd
TW : drogues, alcool


Tu n'as d'yeux que pour la bouteille sur le comptoir et sa capacité à t'envoyer en l'air plus rapidement que n'importe quel éphèbe du moment. Elle ne sait pas tout ce que tu as fumé, pour te dire ça, cette meuf. Tout ce que tu as sniffé et tout ce que tu t'es injecté dans les veines pour atteindre ce nirvana où même tes ombres ne pourraient pas te rejoindre. Une étincelle brille dans tes yeux et un soupir de s'échappe de tes lèvres. Tout pour s'envoler de cette carcasse usée et malade et de ses bourdonnements incessants qui te pourrissent la vie.

Laisse-moi entrer. Laisse-moi entrer. Laisse...
Ton rire est cette fois-ci presque sincère, avec cette note de tristesse qui précède toujours un peu tes rechutes.

"Oh! Chérie, si tu savais... À l'hôpital, on m'appelle Lazare."

Confidence dont personne ici n'a besoin. Tes overdoses n'ont presque pas laissé de traces. Ta petite escapade sur les rochers aiguisés de la plage ouest et ton bain de minuit sans oxygène non plus, si ce n'est que d'un plâtre barbouillé de rose fluo dont tes potes à Cardiff se moquent encore sans imaginer le drame médical derrière.

Une première gorgée. Tes jolis traits se tordent. L'alcool te brûle l'oesophage et te fait tousser grassement. Les yeux plein d'eau, tu jettes un regard gêné à la barmaid.... pour rester figé, l'espace d'une seconde.

Des ombres derrières elle, au travers de tes rétines embuées. Toute une famille décimée qui te dardent au travers de leurs orbites comme si tu étais leur bourreau. Tu te détournes pour remplir d'air tes poumons.
Il n'y a plus rien, évidemment.

"Putain! Ça, c'est de la bonne, meuf. Tu es sûre que tu n'en veux pas un verre? Tu ne sais pas ce que tu manques..."
Goulée d'air. La seconde gorgée passe beaucoup mieux. Tu te sens déjà plus léger.

Peut-être que je t'ai attiré pour te manger, qui sait?


Aboi de rire inconfortable. Ange est-il un vampire, finalement? Et celle-là? Petit coup d'oeil aux canines, à la porte et sa lumière laiteuse. On est en plein après-midi, ducon. C'est bien pour ça que tu t'es levé plus tôt, pour une fois. Aurais-tu seulement eu les couilles de venir ici passé 21h?
Probablement pas.

Tu te doutes bien que tu n'es pas son genre, à cette Need. Loin de toi de vouloir mettre les gens dans des cases dont tout le monde se fout, au final, sauf les principaux concernés. Toi qui te démènes comme un diable pour pour bien faire chier les vieux de toute la région en arborant fièrement tes couleurs, tu serais bien en mal d'expliquer à une pauvre fille en pâmoison devant toi qu'elle devrait regarder davantage de télé ou au moins, sortir de son bled perdu et voir le monde.

Le discours qui suit te fait froncer les sourcils. Tes traits se tordent à nouveau et pas à cause de la gnôle, cette fois-ci. Tu avales dubiteusement une autre gorgée.

"Tu es certaine que tu ne veux pas mon job? Tu as le sens du mystère, ma chérie. Vraiment. On ferait un joli duo, toi et moi, tu as pensé? Je suis surtout venu savoir ce qui te poussait à me refiler toute ta petite monnaie. Tout ce métal commence à prendre de la place et franchement, ton aura à la Sarah Connor déconcentre les touristes. On s'attend presque à voir surgir le Terminator à chaque coin de rue, avec toi. C'est trop post-apo, ton truc. C'est pas ce qu'ils sont venus chercher et je perds du fric."

Avoue Dave, tu commences à être de mauvais poil. Ces intrusions ne te plaisent pas. La routine te manque presque et Dieu sait combien elle te répugne, la routine.

Sans demander, tu t'empares de la bouteille. Une carrière gâchée. Tu étais le prodige de ta génération. Le phénix du théâtre et du cinéma britannique. Foutue audition...

Le liquide indéfinissable remplit une nouvelle fois le verre. Tu viens pour le prendre et le porter à tes lèvres en maugréant.

"Comment ça, pas unique? Tu ne m'a jamais vu sur les planche d'un..."

Mais tu t'arrêtes. Deux photographie ont été déposées sur le comptoir. Deux photographies de toi.
Une sortie tout droit de l'un de tes tours. L'autre...

L'autre semble avoir dix ans. vingt ans. Cent ans. Fané, écorné, décoloré, tu regardes l'objectif sans le voir, les cheveux un peu plus clairs dans les yeux. C'est dur à dire.

Tu te passes la main dans ta propre chevelure. Combien de baignoires as-tu tâchées pour faire disparaître ce maudit reflet auburn de ta tignasse? Que de moqueries, à la petite école... Même la salle de bains de tes parents, à Colwyn Bay, garde ses stigmates de teinture noire depuis un peu plus de vingt ans.

"Attends... Quand a été pris cette photo?! C'est pas à Los Angeles, quand même?! Mais... mais ce n'est pas moi, ça! J'ai jamais pris cette photo..."

Castor et Pollux. Tu déglutis.
Siarl siffle encore, dans ton crâne.

Le même air de vermine...

Tu lèves les yeux vers la fille, hagard. Trois ans à conter des histoires, pour attirer l'attention. Pour que quelqu'un remarque quelque chose. Trois ans à déambuler comme un con dans cette ville perdue, pour obtenir ne serait qu'un tout petit indice...
Tu clignes les yeux, avec une bouffée d'espoir.

"Qui... qui est ce mec, Need?"
Enid Murdoch
Enid Murdoch

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tw : vulgarité / obsession / alcool


« Je ne bois pas. C’est la règle de ce lieu. » Need, elle a sorti un ton tranchant comme une lame. Y’a pas de discussions là-dessus. Jakob, il a été clair – pas de drogue, pas d’alcool, pas de substances qui pourraient émousser ou altérer ses réactions. On sait jamais quand on a besoin du chien de garde. Ca serait quand même ballot de le retrouver les quatre fers en l’air alors qu’il faut partir sur une piste fraîche. Comment elle expliquerait ça aux familles ? Elle pouvait pas leur dire qu’elle avait eu besoin d’un petit break. Son corps devait être un putain de temple. Un point c’est tout. Et il serait bien avisé d’en faire autant le petit éphèbe –parce qu’il avait la même pâleur maladive des gars qu’elle a vu crever sur des cartons, des seringues plantés dans leurs veines corrompues, les yeux vides fixant éternellement le ciel morose de son Ecosse natale.

La jeune Murdoch l’écoute déblatérer sur son talent – sans nulle doute en fuite – sinon, il ne serait pas là à traîner dans les culs de basse fosse du Pays de Galles. Elle lui reproche rien. C’est pas si grave d’être un looser qu’elle a envie de lui dire, que ça arrive à tout le monde de rater sa vie et que c’était quoi l’utilité d’être bon à jouer la comédie ? Alors, doucement, presque comme une mère, Need lui reprend la bouteille. Faut pas en abuser, y’en a qui sont devenus aveugles pour moins que ça – même si elle a bien l’impression qu’il est plus capable de voir autre chose que ses rêves en déroute.

Alors, ça l’a presque surprise quand il descend de son canasson et du piédestal sur lequel il avait perché l’animal imaginaire. Pour la première, Enid, elle comprend qu’il voit vraiment ce qu’elle souhaite lui montrer. Elle observe la salive qui fait descendre sa pomme d’Adam alors qu’il croque dans l’amère vérité.

« Pas à Los Angeles, non. Pas à cette époque. Castor et Pollux ne sont pas des êtres uniques. Ils sont doubles. Tout ne tourne pas autour de toi, minot. Regarde mieux. »

Une nouvelle photographie est révélée sous les doigts maigres de la barmaid.

« C’était en Ecosse, tu n’étais peut-être pas encore né, toi-même. La veille de Noël, il est beau n’est-ce pas ?  Ne reconnais-tu pas Obéron ? Toi, le comédien, tu sais mieux la tristesse des elfes. Il est toute mon enfance, ses couleurs, ses fleurs et ses chants. Voilà qui il est. Il est mon créateur. Celui qui explique ma présence en ces lieux. »

Need sent le trouble du gamin, la façade qui s’effrite comme le sable des dunes. Derrière, elle perçoit ce sentiment immonde d’espoir. Elle voit presque le petit garçon perdu qui recherche son paternel. Qu’est-ce que ça lui ferait de savoir que c’est un monstre ? Est-ce que cela moucherait d’un coup la flamme vitale qui tremblote en son sein ? Si la vie lui a bien enseigné une leçon, c’est qu’il faut parfois mieux ménager la vérité pour arriver à ses fins.

« Appelle-le comme tu le souhaites – mais votre ressemblance tromperait pas un borgne. C’est ton paternel, n’est-ce pas ? Ca existe pas les coïncidences, petit guide. Et si tu cherches, ce que j’ai cherché pendant si longtemps, cela fait de nous des frères ? »

Il peut discerner les vignes noires et les fleurs qui ceignent son avant-bras, autant de marque que le Vagabond lui a laissé.

"Ne t'attends pas à plus de réponse, mon mignon. Mes souvenirs sont flous et je ne l'ai pas revu depuis cette nuit-là. Il n'a pas laissé que du bon. C'était plutôt le genre à foutre la merde et à laisser les autres s'en dépatouiller ensuite, tu le sais ça ? Je veux pas te faire de faux espoirs. Si tu rêvais de voir une star de cinéma ou le prince Charles - t'as pas ses oreilles - c'est raté. C'était un pauvre type, qui errait d'un lieu à l'autre avec sans doute une femme dans chaque port. Tu m'as rendu curieuse, ptit guide. C'est tout."



Dafydd Lloyd
Dafydd Lloyd
Tu regrettes déjà la bouteille d'eau-de-vie. Ta gorge est sèche et tes yeux, trop humides. Le papier semble s'effriter, entre les doigts de la barmaid. Tu la dévisages un instant, elle, ses cheveux noirs, sa peau translucide et sa maigreur avant de replonger dans son passé.

Orange, vieillot, vintage. Papier peint moche. Très moche, si on tient absolument à ton avis. Sapin délavé, prenant la meilleure portion du living-room. Jouets de bois par terre. Des camions pour les garçons, des poupées de chiffon pour les petites filles. Bibelots en arrière-plan, depuis longtemps disparus des chaumières. De ceux que ta mère garde précieusement sur sa coiffeuse, pour se croire pieuse et protégée. Petits chérubins de porcelaine qu'elle couve aussi fort que toi. Sourires jaunis par le temps, coiffures pouffantes montées en épingle, cols en dentelle, cravates bariolées, vestons bruns et bleus ringuards et bonne humeur des Fêtes de fin d'année.

Tu voudrais rouspéter. Le bon vieux début des années 60 de ta jeunesse, ravivé en tons fades sur la pellicule. Tu l'as connu, toi aussi. Tu avais quatre ou cinq ans. Mais tu as un personnage à préserver. Instinct de survie. Reculer le temps pour en avoir l'illusion d'en avoir davantage. Dafydd Lloyd de Malfaern a eu 29 ans en octobre. L'autre, le triste fils de boucher qui va fêter ses 36 ans en novembre, tu l'as abandonné à Liverpool.
Ne l'oublie jamais.

Tu aurais pu t'étouffer avec l'hétéronormativité de la photo si ça n'avait été de lui. Aussi souriant que la petite enfant à ses côtés. Aussi doux, aussi gai. Aussi rayonnant. Enveloppé de sa propre lumière et de dentelles, sans complexe. Avec des fleurs plein les cheveux, comme une jeune fille de mai.

Toi, accoutré de la sorte? Ton père  t'aurait tué sur place.

La tristesse d'Obéron. Il y avait une ombre, dans le regard du roi des Elfes. Ça transperçait la péllicule. Mais il souriait. Aussi fort que peut sourire

D'un geste vif, tu t'empare de la photographie et tu t'éloignes, comme un gosse jaloux. Les yeux vitreux du vieillard* au fond de la salle te suivent dans tes cent pas. C'est à peine si tu te tourne vers lui pour lui signifier, d'un regard noir, d'aller se faire foutre. Ce bras chaleureux, autour des épaules de la petite. Cette complicité, dans le regard. Cette affection toute simple. Toute vraie.

Celle que tu n'as pas connue. Pas d'un père, non. Pas du boucher, en tout cas.

"Des frères? Comment ça, des frères?"

Tu t'arraches de la photographie pour regarder à nouveau la jeune femme, de l'autre côté du bar.
Le genre utilisé t'importe peu. Cette familiarité, dans la photo, ne t'a pas échappé. Les fleurs entrelacées, encrées sur le bras de ton hôtesse non plus.

"On... Enfin, mon grand frère, Siarl, m'a dit que lui et...  Ils ont retrouvé ma mère ici. À l'hôpital avec un marmot de deux ou trois jours, dans les bras. Elle n'avait plus nulle part où aller. Elle et son amant avaient loués une petite chambre dans la vieille ville pendant des mois sans même avoir un sou. Tout était au nom de ma mère. Son mari a dû payer la facture. Ils n'ont jamais rien su d'autre. Ma mère a toujours refusé d'en parler. Tout le monde a joué à peu près la comédie de la famille normale. Secret de polichinelle. "

Silence. Tu regardes autour de toi. Le vieux a disparu. Sans doute parti pendant que tu lui tournais le dos. Peux-tu lui en vouloir? Depuis combien de temps attend-il sa bière, tu crois?

" Je ne m'attendais pas au Prince Charmant, Need. Quel genre de type laisse sa meuf accoucher toute seule pour disparaître dans les brumes, hein? Toi, c'était quoi, l'excuse? Papa est parti chercher des cigarettes et il revient dans cinq minutes, mon bébé, c'est ça?"

Tu avales ta salive, encore une fois. À contrecoeur, tu reprends une gorgée de cette pinte de bière, oubliée.

"Je... je ne peux pas imaginer ce que tu as vécu. J'ai pas... Je ne pense pas qu'il m'aimait beaucoup, le mari de ma mère. C'était... ce n'était pas le genre à montrer quoi que ce soit. Jamais vraiment reçu de fessée mais... pas de câlins non plus, tu vois? Il ne me parlait pratiquement jamais. Mais il ne parlait pas à grand monde de toute façon. On voit... on voit qu'il t'aimait tout fort, sur la photo. Ça m'a... ça m'a manqué. Ça m'a beaucoup manqué, ça. Mais je savais que quand mon père allait chercher des cigarettes... Je savais qu'on le reverrait tôt ou tard. Je suis désolé que tu aies vécu ça. Je... je suis vraiment désolé."

Inspiration.

" J'espérais que quelqu'un se souviendrait de quelque chose. On ne peut pas vivre des mois dans un trou comme celui-ci et ne pas laisser quelque chose. Je voulais savoir d'où je venais."

Expiration. Tu poses une main timide sur celle de la barmaid.

"Je m'attendais à toutes sortes de choses, en venant ici. Je m'attendais... Je m'attendais à retrouver un vieux croûlon édenté. Un pauvre type, comme tu dis. Mais pas à retrouver une soeur. Ma soeur. Ou un frère, si tu préfères. Un frère."
Enid Murdoch
Enid Murdoch

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tw : vulgarité / obsession / alcool



Le mensonge est grossier, même pour une sale gosse comme Need. Frères, ils le sont parce que l’on ne traversait pas la non vie du Vagabond sans être marqué du sceau de ses enfants. Le rouge de l’automne pour son fils, les fleurs du printemps pour sa fille. Depuis, c’est comme si le Soleil Noir de la mélancolie avait gâché l’été leur existence.

Le sang, ils le partageaient. Celui versé. Elle pressentait qu’ils étaient condamnés à s’accroupir devant le même autel – celui de la jeunesse sacrifiée et des regrets éternels. Alors, Need, on pouvait pas la condamner. Elle s’en foutait s’ils n’avaient pas partagé le même utérus. Ils avaient été lancés sur les routes, sans question, sans réponse. Sans rien d’autre que l’ichor noir, la dentelle et des fleurs.
Elle l’observe un instant – y retrouve l’élégance de celui qui l’avait façonné en la précipitant sur le mur de la réalité.

« Il aurait pu faire bien pire, petit guide. L’amour n’est qu’une putain d’illusion. Gratte la surface et tu te retrouveras à genoux devant le Roi des Aulnes. Il te sucera la moelle et tu n’auras même plus tes yeux pour pleurer le Seigneur notre Père. »

Elle grince, sa voix perdue dans les méandres du passé. Non, il ne peut pas s’imaginer ce que ça fait de basculer. D’une main expérimentée, elle lui ressert un verre. C’est l’épanchement éthylique typique, bientôt il tanguera sur son tabouret et aura tout oublié de cette discussion. C’est pour ça qu’elle ne boit pas, pour ne jamais se retrouver dans la position où l’on doit décider pour vous. D’être le poids mort dont l’on voudrait se débarrasser.

« Qu’aurais-tu fais pour connaître ce moment de bonheur avec papa ? »

Elle est curieuse de voir jusqu’où l’on peut se fourvoyer pour une caresse, une chanson, un baiser. C’est pas comme si elle n’avait pas un début de réponse dans la pile de bouquins qui s’entasse dans son studio miteux. C’est pas qu’elle n’avait pas déjà expérimenté cette obsession blasphématrice. Elle l’écoute, silencieuse, un sourire de sphinx plaqué sur les lippes vermeilles.

« Ecoute bien. Ecoute. Il t’aurait fait chanté le keen, le soir de Noël, t’aurait couvert de fleurs et de baisers. Tu l’aurais adoré, ça oui, comme l’on adore les divinités sur les laraires antiques, comme l’on loue les aurores de décembre pour qu’elles ne crèvent pas dans la gueule du serpent. Après t’aurais chialé des cendres au milieu du foyer abandonné. C’est sûr que c’est le genre de rencontre qu’on n’oublie pas facilement. »

Elle s’est penchée, Need, saisissant le menton de son interlocuteur, plantant ses prunelles sombres dans celles de son puiné. Il y a une forme de douceur mâtinée de peine lorsqu’elle l’observe.

« Ici, je n’ai trouvé de traces de lui qu’en toi. Tu lui ressembles, mon joli. Frère ou sœur, qu’importe si ce n’est le sang réuni. Il reviendra pour voir ses enfants. Un jour. J’en ai la certitude. Aussi sûr que la nuit tombe tous les soirs. Et tu pourras lui poser toutes les questions que tu souhaites. Cela te changera, pour sûr. »


Et moi je lui foutrais sa putain de tête couronnée sur une pique.



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