Maelström
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Malfearn, 1994

2 participants
Tobias Felton
Tobias Felton
pour un @Ange

Sel, terre, roche. Au dessus de la brume printanière, l’épais manteau de nuages et le vent s’engouffre dans le col de sa chemise, en agite les pointes comme de petits drapeaux. De son catogan s’échappent quelques mèches, arrachées par les mains invisibles de la tempête qui se profile. Il va sans doute pleuvoir, à l’est les nuages sont plus sombres. Une tâche noire de peinture mal diluée. S’il se concentre, au-delà du fracas des vagues sur les rochers 18 mètres plus bas, au-delà du vent qui souffle sur une note aigue de harpie en furie, du claquement des fines herbes et de l’arbre qui résiste, il pourrait bien en sentir le grondement.

Il n’en ressent aucune crainte. La pluie est familière. L’orage une berceuse. Le sel une croûte amère à ses lèvres et il se les humecte par réflexe. Tourne son regard noir aux alentours. Se tient un peu vouté. La main dans sa poche. L’autre refermée sur une carte postale aux coins écornés. Elle semble vieille comme un trésor de famille. Mais son aspect ancien ne trouve son origine qu’aux multiples manipulations qu’il lui a fait subir.

A sa sueur, aux gouttes de sang. A l’eau de sa bouche quand il dort dessus. A la chaleur tiède de son torse. Aux pluies, aux neiges. Au temps.

Il s’est rapproché du phare dont il aperçoit la silhouette, en avant sur la mer, piètre alerte. Sa boots foule les cailloux et les font ricocher. Pour n’importe quel passant cela pourrait être une promenade. Mais il n’y a pas de promeneur, pas en ce début de matinée. Pas à cette presque aube du jeudi matin. Ils ne sont pas assez fous.

Du coin de l’œil il voit la baignoire, posée dans la lande. Et sa forme parfaite, aux courbes rondes, au teint pâle, lui rappelle les carreaux immaculés de l’école. S’il se concentre, il voit la flamme rousse. Le regard bleu dans le miroir. Les éphélides à son museau. La grimace qui n’était qu’un sourire malicieux et incertain. Les jointures écorchées.

(Est-ce que tout va bien) (Est-ce que la question se pose)

Il ne s’en approchera – pas parce qu’il s’en méfie – pas parce qu’il en a peur – mais parce qu’elle est un signal. Parce que ça se rapproche. Et que lui-même range posément la carte postale à l’avant de sa chemise. Le couteau à sa hanche n’est pas le même que la dernière fois. Celui là, voilà bien longtemps qu’il l’a enterré aux côtés de Billy.

(Parce que tu lui devais ?) (Ne pars pas sans combattre)

Aujourd’hui c’est son tour. Et les nuages se noircissent encore un peu, au dessus de l’île, à quelques kilomètres des vagues déchainées qui se fracassent à la falaise. De la langue qui dégueule sa barre de roches ternies sur lesquelles il se tient. Lui, silhouette de noir et de rouge.

Lui, le banni.
Ange
Ange

Malfearn, 1994

Ange & @Tobias Felton

03.1994
tw : violence, propos sexuels
Il est un garçon aux cheveux roux étendu dans le ventre d’une baignoire. Un rien de terre au coin des lèvres, encroûtée comme du sang séché. Les doigts ferrés aux côtés, le souffle brumâtre dans l’air glacial. Il attend là depuis une éternité déjà, plongé dans un sommeil sans rêves.

Il est un garçon aux cheveux roux, rictus immobile aux tréfonds de la lande. La commissure des lèvres et le coin des yeux encroûtés de sel.

Car Awel est partout en ceux qui la peuplent. Du sable et des cristaux de sel à n'en plus finir, dans chaque sillon des baraques fatiguées. Quand on se lèche les lèvres, sur l'île, on peut y sentir l'iode, quand on embrasse quelqu'un c'est comme bécoter les vagues. On y fricote avec l'écume, le corps creusé comme les récifs, usé comme un galet. Il n'y a pas d'unions ou d'intimité qui ne soit infiltrées par la mer. L'air qu’on respire, les vents qu'on endure, sont constitués de son souffle ; sa respiration à elle. Leurs battements de cœur se synchronisent au pouls de l'océan.

Et celui de l’éternel remous au sien.

Figé, statue de sel, l'Ange coule un regard voluptueux. Un regard tout de sirop et d'encens, glissant comme une fumée bleutée d'entre les franges translucides de ses cils comme tressées finement à ses paupières irriguées d'insomnies. Les bras raides, pendant le long du corps. Deux branches, rameaux pénibles à sa carcasse. Le sourire n’a rien de naturel, s’efforce d’être amical. Mais l’air siffle entre ses dents et un rien de salive perle au récif de son menton. Il a la hargne des affamés. Ceux qui ont trop attendu le festin.

C’est le sol qui le retient encore fermement, l’herbe rampant à ses pieds nus. L’alanguissement de l’attente. L’instinct des prédateurs. La promesse intérieure de bientôt se faire les dents à cette chair tendre. Rien qu’un instant de plus. Une seconde, à peine, à profiter de la chasse. Du tumulte de ses émotions, le poing fermé à son ventre. La tempête folle au creux de reins. Ainsi spectrale dans l’air du matin, il se sent lentement retourner à la poussière.

Il ne l’attendait plus. N’espérait pas que le courage le prenne. Qu’il s’en retourne aux terres qui l’ont vu naître. Retourne la queue entre les pattes se jeter à la gueule de ses pairs. Le banni stupide. Celui qui a foiré son coup. N’a pas coupé la bonne tête. A bâclé le travail. Il ne connaît que trop bien le sort qu’on réserve aux disgraciés. Au mieux c’est l’ignorance. À l’écart du troupeau. Plus de place, retour à l’existence des communs. Au pire, l’exécution pure et simple, pour ceux qui se voudraient trop insistants. D’autres encore – comme l’a fait Isaac – se rachètent à peine sous la forme de monstres de guerre. Les basses œuvres. Le sale travail. Il n’a d’empathie pour aucun d’entre eux. Ni Dieu ni Maître. Rien que l’océan, la lande. Tobias entre eux deux.

Il ignore pour l’instant les souvenirs qui se bousculent. L’odeur de l’herbe brûlée. Main moite dans la sienne. Chants d’Église, crâne rasé, hargne abyssale dans le regard. Le garçon de tous les dimanches. Bien mon père. Noyer le monde. Ou à défaut tout cramer pour de bon. Son pas silencieux accélère à peine, fantôme dans le sable. MON PÈRE ! MON PÈRE Y'A EU LE FEU ! Les yeux noirs, incrédules. Le Zippo entre ses doigts. Qui a fait ça ? - Moi. Disparaître. Fuir à en perdre haleine. Pourquoi tu t’es dénoncé crétin ? C’est un imbécile plus brillant que les autres. Encore quelque chose de vivant, à l’intérieur. Seulement bien muselé. Tous les dimanches. Puis plus souvent. Jusqu’à fuguer pour lui.

Il est proche, si proche. Quelques mètres, à peine. Dans son dos, l’air de rien. Le pousser, enfoncer une griffe à sa gorge, en finir.

La lettre. Le toit. L’hôpital. Le manque. De lui, surtout. La jambe qui ne lui fait plus défaut désormais. Billy qui forme, apprend. Billy le nouveau père ou presque. Lui qui n’est plus là. Pour sauver, pour emmener loin. Promet qu’il le fera. Ne revient jamais vraiment. Un jour je vais m’envoler pour de vrai. Chasser des monstres. Tobias chasse les monstres. Un par un, tête par tête. Tobias et son déni. Voit ses cheveux blanchir. Son sourire s’élargir. Refuse de voir. Refuse d’y croire. J'vais t'emmener... quand j'aurais fini. Quand je serai grand et plus fort. Je vais t'emmener, te construire une maison. On vivra tous les deux. Loin. - Tu as promis... Alors ça arrivera sinon tu iras en enfer.

Je n’ai pas approché Bill.

Et tu sais que les monstres ne peuvent pas mentir.


Plus simple de se débarrasser du problème. De la honte. Du monstre planqué dans son placard. De fermer les yeux. Prétendre ne pas bander pour l’innommable. Bon chasseur, bon Hurleur. Bon garçon. Baisse les yeux, suis le groupe. Bien aveugle. Stupide, éduqué. Oublie tout ce que tu aimes et tout ce que tu as promis.

Alors tu iras en enfer.

Son bras se hisse. Perpendiculaire parfaite à son corps. Les doigts aux griffes comme un flingue viennent en menace à sa nuque. Un appui à peine perceptible pour révéler sa présence. « Un bon soldat ne baisse jamais sa garde. »

Il est un garçon aux cheveux roux. Un écho du passé ayant revêtu son ancienne peau. Un triste costume, trop étroit pour lui désormais. Une réponse à l’attente d’un autre. Les taches de rousseur qui pétillent à sa peau. Son sourire d’avant devenu trop menaçant, trop sombre. La copie d’une copie.

Les bras de nouveau ballants, il s’éloigne. Quelques pas à peine. Refuse d’admettre. D’admirer comme il a grandi. Comme il a changé. Comme tout est alors relégué au passé. D’un pied sur l’autre, il se dandine, minaude. Comme revoir un vieux camarade à qui l’on n’a plus rien à dire. S’efforcer de rester tout de même. « Tu es revenu finalement… Et tu as oublié ton masque. »

Pas moi.