:: OUTSIDE :: Alentours :: The Valleys
The Tide [Davie]
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Iman Maier
Messages : 21
Messages rp : 8
Une ligne suit l'estran, entre la plage et la marée montante. Une ligne tracée par un bâton traîné au sol. D'autres pistes la croisent et la malmènent, l'eau approche mais le dessin reste lisible, car il s'agit bien de lettres. Un oeil exercé peut reconnaître quelques syllabes caractéristiques de la langue de Molière : "la", "les", "je". C'est une longue histoire, peut-être pas si longue que ça, si on la traçait sur une page, mais interminable ainsi étirée au long du paysage ; on dirait qu'elle disparaît derrière les dunes grises, coiffées de quelques herbes blanchies de sel, qui semblent boucler l'espace.
Certains curieux, amoureux désoeuvrés, passants solitaires, maîtres patients avec leurs chiens galopants qui faussent quelques boucles des lettres sous leurs pattes... essaient de suivre le message et de le déchiffrer, mais ils ne parlent pas la langue, et de toute façon, ce sont des poèmes, ça ne veut rien dire de spécial, ce sont juste des vaguelettes de sensations venues lécher la conscience et aussitôt reparties vers le large. Celui qui a tracé la ligne, lui-même, ne sait peut-être pas de quoi il s'agit exactement.
La silhouette a disparu derrière la barrière au bout de la plage, là où le sentier continue, invisible parmi les herbes argentées. Ce n'est pas la première fois qu'on la voit ici, traînant dans le berceau du vent ses cheveux de sirène.
C'est le nouveau propriétaire de la boutique d'antiquités, sur le port, le jeune Maier bien sûr, son vieux père ne quitte pas souvent la demeure. A quoi lui sert-il, d'ailleurs ? A expertiser ? Il n'y voit vraiment plus grand-chose. Et la boisson n'aide pas. Il touche le fond de la bouteille, le vieux Maier, il ne s'en cache pas vraiment. Peut-être que le vieux a besoin d'échapper parfois à sa ténébreuse compagnie, et c'est pour ça qu'il erre sur la plage comme un fantôme, perdu entre son art éphémère et ses souvenirs.
Autrefois, quand ses cheveux avaient la couleur de la mer et qu'il venait en couple au bord de l'eau, d'autres eaux, loin d'ici. C'est quoi, un couple ? Deux algues emportées par le courant qui s'emmêlent sans vraiment l'avoir cherché et qui restent accrochées, jusqu'à ce que la même force les arrache aux bras l'une de l'autre, irrémédiablement ? Autrefois, quand ils sont allés pour la dernière fois à la fête foraine, un tour de grande roue, les rires au stand de tir, quand le son de l'arme faisait sauter les autres en arrière et que lui, - il se faisait appeler Robert alors - restait imperturbable... Il s'était vite teint les cheveux avant de rentrer, son père n'était pas prêt à lui voir la tête bleue, déjà qu'au téléphone, ça n'avait pas l'air d'aller.
Ils ne savaient pas que c'était la dernière fois. Ils savaient juste que, le lendemain, il allait partir pour une semaine ou deux, voir sa famille à l'étranger. Ils n'en parlaient jamais ; la famille, sujet sensible. Ils s'en fichaient, ils n'en avaient pas besoin. Deux oiseaux jolis vivant d'amour et d'eau fraîche, libres comme l'air au-dessus des eaux claires - des rires encore à la pêche au canard, parmi les enfants des autres - les questions adorables au sujet de ses cheveux, de ses gestes des mains, et son amour de Dave qui répondait pour lui. Un océan de confiance où toutes précautions s'étaient noyées depuis longtemps.
Ils auraient peut-être dû faire plus attention. Il était tellement tard, maintenant, tellement tard. Rester là-bas, surtout ne pas revenir au présent. Tourne le dos à la mer et direction la lande.
Robby avait remporté une grosse peluche immonde aux yeux dépareillés et l'aimait déjà de tout son coeur, il la portait en équilibre sur ses épaules. C'était sans doute un bootleg de goodie Disney quelconque mais il préférait ne pas savoir quel était le modèle d'origine, cela préservait le mystère. Il fallait encore que Davie lui trouve un nom. Un petit rituel, tant qu'ils avaient encore du temps en amoureux...
Certains curieux, amoureux désoeuvrés, passants solitaires, maîtres patients avec leurs chiens galopants qui faussent quelques boucles des lettres sous leurs pattes... essaient de suivre le message et de le déchiffrer, mais ils ne parlent pas la langue, et de toute façon, ce sont des poèmes, ça ne veut rien dire de spécial, ce sont juste des vaguelettes de sensations venues lécher la conscience et aussitôt reparties vers le large. Celui qui a tracé la ligne, lui-même, ne sait peut-être pas de quoi il s'agit exactement.
La silhouette a disparu derrière la barrière au bout de la plage, là où le sentier continue, invisible parmi les herbes argentées. Ce n'est pas la première fois qu'on la voit ici, traînant dans le berceau du vent ses cheveux de sirène.
Sur les voies parcourues, que déferle la lune
Aux ailes de corbeau.
Si nous abandonnions au sable de la dune
Nos passés en lambeaux,
Si je cessais d'aimer ou si tu m'oubliais,
Oh ! Que les flots s'écartent,
Ploient les montagnes ! comme si l'on repliait
Les reliefs d'une carte !
Aux ailes de corbeau.
Si nous abandonnions au sable de la dune
Nos passés en lambeaux,
Si je cessais d'aimer ou si tu m'oubliais,
Oh ! Que les flots s'écartent,
Ploient les montagnes ! comme si l'on repliait
Les reliefs d'une carte !
C'est le nouveau propriétaire de la boutique d'antiquités, sur le port, le jeune Maier bien sûr, son vieux père ne quitte pas souvent la demeure. A quoi lui sert-il, d'ailleurs ? A expertiser ? Il n'y voit vraiment plus grand-chose. Et la boisson n'aide pas. Il touche le fond de la bouteille, le vieux Maier, il ne s'en cache pas vraiment. Peut-être que le vieux a besoin d'échapper parfois à sa ténébreuse compagnie, et c'est pour ça qu'il erre sur la plage comme un fantôme, perdu entre son art éphémère et ses souvenirs.
Autrefois, quand ses cheveux avaient la couleur de la mer et qu'il venait en couple au bord de l'eau, d'autres eaux, loin d'ici. C'est quoi, un couple ? Deux algues emportées par le courant qui s'emmêlent sans vraiment l'avoir cherché et qui restent accrochées, jusqu'à ce que la même force les arrache aux bras l'une de l'autre, irrémédiablement ? Autrefois, quand ils sont allés pour la dernière fois à la fête foraine, un tour de grande roue, les rires au stand de tir, quand le son de l'arme faisait sauter les autres en arrière et que lui, - il se faisait appeler Robert alors - restait imperturbable... Il s'était vite teint les cheveux avant de rentrer, son père n'était pas prêt à lui voir la tête bleue, déjà qu'au téléphone, ça n'avait pas l'air d'aller.
Ils ne savaient pas que c'était la dernière fois. Ils savaient juste que, le lendemain, il allait partir pour une semaine ou deux, voir sa famille à l'étranger. Ils n'en parlaient jamais ; la famille, sujet sensible. Ils s'en fichaient, ils n'en avaient pas besoin. Deux oiseaux jolis vivant d'amour et d'eau fraîche, libres comme l'air au-dessus des eaux claires - des rires encore à la pêche au canard, parmi les enfants des autres - les questions adorables au sujet de ses cheveux, de ses gestes des mains, et son amour de Dave qui répondait pour lui. Un océan de confiance où toutes précautions s'étaient noyées depuis longtemps.
Ils auraient peut-être dû faire plus attention. Il était tellement tard, maintenant, tellement tard. Rester là-bas, surtout ne pas revenir au présent. Tourne le dos à la mer et direction la lande.
Robby avait remporté une grosse peluche immonde aux yeux dépareillés et l'aimait déjà de tout son coeur, il la portait en équilibre sur ses épaules. C'était sans doute un bootleg de goodie Disney quelconque mais il préférait ne pas savoir quel était le modèle d'origine, cela préservait le mystère. Il fallait encore que Davie lui trouve un nom. Un petit rituel, tant qu'ils avaient encore du temps en amoureux...
Dafydd Lloyd
Messages : 131
Messages rp : 16
It was many and many a year ago,
In a kingdom by the sea,
That a maiden there lived whom you may know
By the name of Annabel Lee;
And this maiden she lived with no other thought
Than to love and be loved by me.
https://www.youtube.com/watch?v=EdOtx23hNq4&t=32s
Un simple spectateur pourrait croire que tu ne fais que suivre le félin noir qui, dans le sable, trottine devant toi. Ou ce qui te précède toujours, ce nuage de nicotine, partout où tu vas. Pourquoi aller marcher en béquilles sur la plage, dis-nous? Les semaines passent et les quatre murs de ta chambre et du kiosque t'étouffent. Tu as besoin de ce décor maussade comme de l'air que tu respires, que tu menaces de te barrer ou pas. Ces vagues grises t'ont vu naître et emportent toujours avec elles une partie de toi. Comme ce sable qu'elles embrassent avant de l'abandonner.
Le métal et le plastique de tes béquilles s'enfoncent dans le sable et rend ta progression pénible. Tu contournes les courbes et longes les lignes de mots déjà à demi-effacés par le vent et les vagues. De ça et là, un mot que tu reconnais, dans ton français approximatif. Une langue que tu as apprise de peine et de misère par amour et par humilité. Tu as bien des talents mais... pas celui-là.
Robert. Robert t'as appris un peu de ses mots. Mais surtout la langue des signes et celles de la passion. Pour celles-là, tu as été bon élève, Dafydd. Toujours un bon élève. Ré-apprendre à faire confiance, après Tom, t'es venu naturellement, avec lui. Trop naturellement, sans doute.
Remonter haut dans le ciel, comme l'Icare que tu seras toujours pour mieux t'écraser sur la plage, encore et encore.
Tu tires sur ta cigarette. Tu y avais cru. Tu l'avais cru lorsqu'il t'avait dit qu'il reviendrait, pas vrai?
Tu baisses le regard sur les signes tracés dans le sable.
Oui, tu y avais cru très fort.
**
Des rires, des lumières multicolores, du bruit et du chocolat. C'est tout ce qu'il te fallait pour oublier que demain Robert ne serait plus à tes côtés mais dans le train vers sa France natale. Oui, le sujet de la famille était tabou. Tu ne recherchais pas à savoir ce qu'il y avait de si important, pour enlever sa coiffe de saphir, au pays du Beaujolais et il n'abordait jamais tes fracas, à Colwyn Bay. Est-ce que ça te manquait? Te posais-tu des questions, parfois?
Peut-être.
Mais quelle importance? Il était là, avec ses yeux brillants, ses poèmes et ses mains voltigeantes. Ça te suffisait.
Jusqu'à son silence.
Dans le silence, il y a trop de place pour les questions.
Et la peluche bleue aux yeux dépareillées, Monty, était restée à Liverpool, avec tes regrets.
**
Tu souffles ton nuage cancérigène vers le ciel. La poésie se termine sous ton pas chancelant. Même le chat a compris la fin des rimes. Là, dans les algues d'argent, une silhouette que tu reconnaîtrais, entre mille. Il ne manque que les cheveux bleus, qui ont été coupés de trop près.
Tu attends, calmement, tires une énième fois sur la clope qui n'est déjà plus qu'un souvenir jauni entre tes doigts. Tu attends que l'autre se retourne, qu'il daigne te regarder.
Tu souris, dès qu'il le fait.
Tu n'es pas si rancunier que ça, au fond.
Ou à peine. À peine.
Tes mains jouent à la colombe, elles s'emportent et dansent dans le vent, menaçant de te faire perdre l'équilibre. Le language des signes et les béquilles ne font pas bon ménage, tu t'en rends bien compte.
De toute façon, qu'il y a t-il à dire?
Les touristes m'ont parlé d'une nouvelle boutique de brocante et de l'énergumène qui la tenait. Tu as toujours aimé les vieilles choses, pas vrai?
In a kingdom by the sea,
That a maiden there lived whom you may know
By the name of Annabel Lee;
And this maiden she lived with no other thought
Than to love and be loved by me.
https://www.youtube.com/watch?v=EdOtx23hNq4&t=32s
Un simple spectateur pourrait croire que tu ne fais que suivre le félin noir qui, dans le sable, trottine devant toi. Ou ce qui te précède toujours, ce nuage de nicotine, partout où tu vas. Pourquoi aller marcher en béquilles sur la plage, dis-nous? Les semaines passent et les quatre murs de ta chambre et du kiosque t'étouffent. Tu as besoin de ce décor maussade comme de l'air que tu respires, que tu menaces de te barrer ou pas. Ces vagues grises t'ont vu naître et emportent toujours avec elles une partie de toi. Comme ce sable qu'elles embrassent avant de l'abandonner.
Le métal et le plastique de tes béquilles s'enfoncent dans le sable et rend ta progression pénible. Tu contournes les courbes et longes les lignes de mots déjà à demi-effacés par le vent et les vagues. De ça et là, un mot que tu reconnais, dans ton français approximatif. Une langue que tu as apprise de peine et de misère par amour et par humilité. Tu as bien des talents mais... pas celui-là.
Robert. Robert t'as appris un peu de ses mots. Mais surtout la langue des signes et celles de la passion. Pour celles-là, tu as été bon élève, Dafydd. Toujours un bon élève. Ré-apprendre à faire confiance, après Tom, t'es venu naturellement, avec lui. Trop naturellement, sans doute.
Remonter haut dans le ciel, comme l'Icare que tu seras toujours pour mieux t'écraser sur la plage, encore et encore.
Tu tires sur ta cigarette. Tu y avais cru. Tu l'avais cru lorsqu'il t'avait dit qu'il reviendrait, pas vrai?
Tu baisses le regard sur les signes tracés dans le sable.
Oui, tu y avais cru très fort.
**
Des rires, des lumières multicolores, du bruit et du chocolat. C'est tout ce qu'il te fallait pour oublier que demain Robert ne serait plus à tes côtés mais dans le train vers sa France natale. Oui, le sujet de la famille était tabou. Tu ne recherchais pas à savoir ce qu'il y avait de si important, pour enlever sa coiffe de saphir, au pays du Beaujolais et il n'abordait jamais tes fracas, à Colwyn Bay. Est-ce que ça te manquait? Te posais-tu des questions, parfois?
Peut-être.
Mais quelle importance? Il était là, avec ses yeux brillants, ses poèmes et ses mains voltigeantes. Ça te suffisait.
Jusqu'à son silence.
Dans le silence, il y a trop de place pour les questions.
Et la peluche bleue aux yeux dépareillées, Monty, était restée à Liverpool, avec tes regrets.
**
Tu souffles ton nuage cancérigène vers le ciel. La poésie se termine sous ton pas chancelant. Même le chat a compris la fin des rimes. Là, dans les algues d'argent, une silhouette que tu reconnaîtrais, entre mille. Il ne manque que les cheveux bleus, qui ont été coupés de trop près.
Tu attends, calmement, tires une énième fois sur la clope qui n'est déjà plus qu'un souvenir jauni entre tes doigts. Tu attends que l'autre se retourne, qu'il daigne te regarder.
Tu souris, dès qu'il le fait.
Tu n'es pas si rancunier que ça, au fond.
Ou à peine. À peine.
Tes mains jouent à la colombe, elles s'emportent et dansent dans le vent, menaçant de te faire perdre l'équilibre. Le language des signes et les béquilles ne font pas bon ménage, tu t'en rends bien compte.
De toute façon, qu'il y a t-il à dire?
Les touristes m'ont parlé d'une nouvelle boutique de brocante et de l'énergumène qui la tenait. Tu as toujours aimé les vieilles choses, pas vrai?
Iman Maier
Messages : 21
Messages rp : 8
Moi qu'un carcan de roc n'a pas mis à genoux,
Je proclame à la ronde :
Dans un monde sans toi, dans un monde sans nous,
Je ne veux plus du monde
Ayant écrit ces derniers mots, le promeneur s'était arrêté. Pensif, il considérait à ses pieds ce qui n'était pas du sable, et n'était pas une algue, et n'était pas le bâton jeté à la fin de sa rédaction ; c'était un long fil de fer, rejeté par les vagues comme un morceau de bois flotté. Une créature vivante allait se blesser avec cela, songea-t-il en le ramassant. Ce n'était même pas vraiment rouillé ou rongé par le sel, on aurait cru que c'était un piège. Il ne songeait pas un instant qu'il était peut-être la proie.
Lentement, sans vraiment réfléchir, il tordit la ligne noire entre ses mains. Une forme se dessina. Il l'attira devant son visage, avec l'impression de lutter contre le sens du vent. A cet instant, son visage reflété par une flaque voisine lui apparut. Il ne se reconnut pas et lâcha sa sculpture qui tomba à ses pieds. Un chat surpris s'en écarta, comme d'un pestiféré. Ou d'un loup. Heureusement, c'est à cet instant qu'une seconde silhouette apparut, droite devant le ciel pâle ; et il oublia tout.
Celui pour qui il avait écrit avait entendu son silence. N'était-ce pas là l'essence même du miracle ?
La marée emporte, et la marée ramène, ainsi soit-il. Bénie soit-elle.
"Davie," formèrent les lèvres du muet. Il redevint Robbie, le lutin aux cheveux bleus des bars étincelants et des conférences haut perchées. Le jeune et l'insouciant, sans famille ni contrainte, fou mâtiné de sage, flâneur des pavés libres, cueilleur de fleurs séchées. Il redevint lui-même. Ce qu'ils n'avaient manqué ensemble n'était qu'un chapitre mais la couverture était à eux deux, à jamais. Il ne lui fallut que quelques pas pour rejoindre la silhouette en attente, l'enlacer, la serrer précieusement contre lui – il ne savait pas ce qui motivait la présence des béquilles, mais il n'était certainement pas là pour ajouter de la douleur. Mais comment retenir son enthousiasme ? Il ressentait nettement le déchirement presque douloureux d'une chape de brume froide qui avait recouvert les plages de son coeur et qu'un cheval au galop arrachait sur son passage, un coup de sabot dans le sable humide pour chaque battement de coeur, secouant tout l'univers. Un mélange de cet enthousiasme bâtisseur qui l'avait toujours emporté si facilement en croisant le regard de Davie, et de... Est-ce que c'était de la peur ?
Davie avait souri. Mais la peur était bien là. Extérieure, lancinante. Il ne fallait pas rester ici, sur cette frontière entre deux mondes ; il fallait désormais s'ancrer fermement dans un pan de la réalité ou dans un autre, et le choix était déjà fait depuis des années. A quoi bon perdre du temps ? Mais quelque chose, une toute petite chose, retenait Iman dans l'instant suspendu des retrouvailles, incapable d'entraîner son compagnon vers la ville pour se poser, se parler, se retrouver réellement. S'assurer que tout cela était réel et solide. Il y avait toujours eu chez Davie quelque chose de fragile, c'était aussi une de ses beautés, mais c'était une épée de Damoclès, une épée peut être jolie... Pourquoi ces béquilles ? Est-ce qu'il allait vraiment mal ?
Iman avait besoin de savoir s'il pouvait faire quelque chose. Non seulement leur lien venait de se renouer d'un coup, comme si rien ne les avait jamais séparés ; mais il s'était renforcé d'une dimension supplémentaire. Il ne savait pas encore comment l'appeler. Il avait toujours aimé Davie, mais c'était différent. En dénouant son étreinte, il jeta un regard au chat. Et il comprit ce qui le retenait. Quelque chose à emporter, en souvenir de ce jour.
Après une hésitation, il ramassa le masque de fil tordu qu'il avait laissé à ses pieds, et le porta à son visage, avec ce sourire indécis qui voulait dire : "comment tu me trouves ?" Un masque en forme de visage de loup. On appelait cela un loup, autrefois. Il en avait dans sa boutique – et même un qui avait servi sur le tournage d'un film ; c'était peut-être ce souvenir vague, tracé à la craie plutôt que gravé sur la surface de son inconscient, qui l'avait inspiré. En ce moment, ça lui était complètement égal. Toutes ses pensées, tout ce qu'il ressentait, et même le fond de ses rêves qu'il ne pouvait lui-même atteindre, tout était tourné vers le centre de sa passion.
Je proclame à la ronde :
Dans un monde sans toi, dans un monde sans nous,
Je ne veux plus du monde
Ayant écrit ces derniers mots, le promeneur s'était arrêté. Pensif, il considérait à ses pieds ce qui n'était pas du sable, et n'était pas une algue, et n'était pas le bâton jeté à la fin de sa rédaction ; c'était un long fil de fer, rejeté par les vagues comme un morceau de bois flotté. Une créature vivante allait se blesser avec cela, songea-t-il en le ramassant. Ce n'était même pas vraiment rouillé ou rongé par le sel, on aurait cru que c'était un piège. Il ne songeait pas un instant qu'il était peut-être la proie.
Lentement, sans vraiment réfléchir, il tordit la ligne noire entre ses mains. Une forme se dessina. Il l'attira devant son visage, avec l'impression de lutter contre le sens du vent. A cet instant, son visage reflété par une flaque voisine lui apparut. Il ne se reconnut pas et lâcha sa sculpture qui tomba à ses pieds. Un chat surpris s'en écarta, comme d'un pestiféré. Ou d'un loup. Heureusement, c'est à cet instant qu'une seconde silhouette apparut, droite devant le ciel pâle ; et il oublia tout.
Celui pour qui il avait écrit avait entendu son silence. N'était-ce pas là l'essence même du miracle ?
La marée emporte, et la marée ramène, ainsi soit-il. Bénie soit-elle.
"Davie," formèrent les lèvres du muet. Il redevint Robbie, le lutin aux cheveux bleus des bars étincelants et des conférences haut perchées. Le jeune et l'insouciant, sans famille ni contrainte, fou mâtiné de sage, flâneur des pavés libres, cueilleur de fleurs séchées. Il redevint lui-même. Ce qu'ils n'avaient manqué ensemble n'était qu'un chapitre mais la couverture était à eux deux, à jamais. Il ne lui fallut que quelques pas pour rejoindre la silhouette en attente, l'enlacer, la serrer précieusement contre lui – il ne savait pas ce qui motivait la présence des béquilles, mais il n'était certainement pas là pour ajouter de la douleur. Mais comment retenir son enthousiasme ? Il ressentait nettement le déchirement presque douloureux d'une chape de brume froide qui avait recouvert les plages de son coeur et qu'un cheval au galop arrachait sur son passage, un coup de sabot dans le sable humide pour chaque battement de coeur, secouant tout l'univers. Un mélange de cet enthousiasme bâtisseur qui l'avait toujours emporté si facilement en croisant le regard de Davie, et de... Est-ce que c'était de la peur ?
Davie avait souri. Mais la peur était bien là. Extérieure, lancinante. Il ne fallait pas rester ici, sur cette frontière entre deux mondes ; il fallait désormais s'ancrer fermement dans un pan de la réalité ou dans un autre, et le choix était déjà fait depuis des années. A quoi bon perdre du temps ? Mais quelque chose, une toute petite chose, retenait Iman dans l'instant suspendu des retrouvailles, incapable d'entraîner son compagnon vers la ville pour se poser, se parler, se retrouver réellement. S'assurer que tout cela était réel et solide. Il y avait toujours eu chez Davie quelque chose de fragile, c'était aussi une de ses beautés, mais c'était une épée de Damoclès, une épée peut être jolie... Pourquoi ces béquilles ? Est-ce qu'il allait vraiment mal ?
Iman avait besoin de savoir s'il pouvait faire quelque chose. Non seulement leur lien venait de se renouer d'un coup, comme si rien ne les avait jamais séparés ; mais il s'était renforcé d'une dimension supplémentaire. Il ne savait pas encore comment l'appeler. Il avait toujours aimé Davie, mais c'était différent. En dénouant son étreinte, il jeta un regard au chat. Et il comprit ce qui le retenait. Quelque chose à emporter, en souvenir de ce jour.
Après une hésitation, il ramassa le masque de fil tordu qu'il avait laissé à ses pieds, et le porta à son visage, avec ce sourire indécis qui voulait dire : "comment tu me trouves ?" Un masque en forme de visage de loup. On appelait cela un loup, autrefois. Il en avait dans sa boutique – et même un qui avait servi sur le tournage d'un film ; c'était peut-être ce souvenir vague, tracé à la craie plutôt que gravé sur la surface de son inconscient, qui l'avait inspiré. En ce moment, ça lui était complètement égal. Toutes ses pensées, tout ce qu'il ressentait, et même le fond de ses rêves qu'il ne pouvait lui-même atteindre, tout était tourné vers le centre de sa passion.
Dafydd Lloyd
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Deux poitrines, l'une contre l'autre, les tambours à l'unisson. Deux corps retrouvés, entre les vagues du temps.
Tu souris, timidement. La mer finit toujours par recracher ses trésors. L'étreinte te surprend. Ton myocarde cesse de battre. Gêné, tu te tortilles, dans tes jambes de plastique. En as-tu vraiment besoin, de ces prothèses dans le creux de ses bras? Ne sont-ils pas les béquilles que tu recherchais? Ton épaule s'appuie contre son torse, tes doigts recherchent les boucles bleues d'autrefois. Ils glissent sur une coupe trop propre, trop moderne que tu ne lui connaissais pas. Vous avez changé tous les deux, chacun à votre façon. Il s'est assagi. De toute façon, tu as assez de teinture dans les cheveux pour deux. Et c'est toi, le goth du bled, maintenant. Ce serait dommage de perdre ta place.
L'espace d'un soupir, le temps d'un regret, tu es redevenu insouciant. Tu es redevenu léger. Amoureux de l'amour. Oubliées toutes ces remontrances que tu rêvais de crier, dans les couloirs de l'Université de Liverpool. Oubliées, ces nuits sans sommeil, à imaginer le pire, à l'imaginer avec des milliers d'autres, à imaginer son mépris et ses vilains rires. Oubliées, ces larmes versées sur des bouts de papier gribouillés et épars sur le plancher usé d'une chambre de fortune. Oubliée, la maladie et ses questions de qui et de quand. Il n'y a que le moment présent et ses bras tout autour de toi.
Tu enfouies ton nez au creux de son cou. Là où est perchée toute son odeur. Son odeur de fête foraine et de bouquins. Son odeur d'encre et de comptoir étincelant de nickel. Certains parfums ont été dilués, d'autres n'ont plus leur place. Disparue, l'odeur aigrie de la bière. Elle a été remplacée par l'odeur de la poussière et de la brocante.
Tu te recules enfin d'un pas, le coeur battant.
"Robbie"
Tu aimes le calme de tes lèvres qui bougent dans un simple souffle. Qui peut prétendre pouvoir crier des vers enflammés à l'être aimé tout en gardant un silence assourdissant? Toi. Juste toi. Tu le détaille, yeux dans les yeux. Les petites rides, son sourire... son inquiétude. Tu suis son regard. Ah! Le chat! Ah! Les pattes d'acier!
Tu souris et secoue la tête.
"Je suis tombé, c'est tout."
On ne dira pas où. On ne dira pas comment. Et surtout pas pour qui. Ou plutôt... pour quoi. Depuis un mois et demi, tu doutes de toi. Tu doutes de tes yeux. Tu doutes de tes oreilles. De ton nez. De tes mains. Tu doutes de tout. Tu doutes de tes rêves, tu doutes de tes contes à dormir debout. Tu doutes de la réalité. Tu doutes que l'homme qui est en face de toi soit vraiment là. Un joli rêve trop vivace? Peut-être. Ça n'a pas d'importance. Ton sourire s'élargit. Premier petit mensonge. Juste un petit mensonge.
"Tout va bien."
Tout va bien, oui. Robbie est là. Et s'il s'évapore dans deux minutes, ce sera deux minutes de grâce, c'est tout. Le chat miaule et tourne autour de vos jambes. Mister Binx est-il vraiment là ou à l'appartement? Pfff.... Tout ça devient fatiguant.
Toi? Toi, tu vas bien, Robbie?
Le mirage éveillé se baisse et ramasse un bout de métal tordu. Le porte à son visage.
Mouvement de recul. Instinctif. Primaire. Héréditaire. Ton sang frelaté ne fait qu'un tour, dans le creux de tes tempes.
Loup.
Chasseur. Est-il chasseur?
Alors qui est le chassé?
Secoues-toi les puces. C'est Robbie. C'est Robbie, bordel! Toi tu aussi, tu reprends ton masque. Ton masque d'innocence. Ton masque d'amant. Ta main effleure le métal tiède, comme pour s'assurer qu'il est bien là.
Tes mains voltigent de plus belle.
"Féroce. Tu as l'air féroce. L'autre toi. Le liup. Celui que je ne connais pas. Pas encore."
Sourire.
"Si toi, tu es le loup, qui suis-je? Tu me raconteras?"
Tu souris, timidement. La mer finit toujours par recracher ses trésors. L'étreinte te surprend. Ton myocarde cesse de battre. Gêné, tu te tortilles, dans tes jambes de plastique. En as-tu vraiment besoin, de ces prothèses dans le creux de ses bras? Ne sont-ils pas les béquilles que tu recherchais? Ton épaule s'appuie contre son torse, tes doigts recherchent les boucles bleues d'autrefois. Ils glissent sur une coupe trop propre, trop moderne que tu ne lui connaissais pas. Vous avez changé tous les deux, chacun à votre façon. Il s'est assagi. De toute façon, tu as assez de teinture dans les cheveux pour deux. Et c'est toi, le goth du bled, maintenant. Ce serait dommage de perdre ta place.
L'espace d'un soupir, le temps d'un regret, tu es redevenu insouciant. Tu es redevenu léger. Amoureux de l'amour. Oubliées toutes ces remontrances que tu rêvais de crier, dans les couloirs de l'Université de Liverpool. Oubliées, ces nuits sans sommeil, à imaginer le pire, à l'imaginer avec des milliers d'autres, à imaginer son mépris et ses vilains rires. Oubliées, ces larmes versées sur des bouts de papier gribouillés et épars sur le plancher usé d'une chambre de fortune. Oubliée, la maladie et ses questions de qui et de quand. Il n'y a que le moment présent et ses bras tout autour de toi.
Tu enfouies ton nez au creux de son cou. Là où est perchée toute son odeur. Son odeur de fête foraine et de bouquins. Son odeur d'encre et de comptoir étincelant de nickel. Certains parfums ont été dilués, d'autres n'ont plus leur place. Disparue, l'odeur aigrie de la bière. Elle a été remplacée par l'odeur de la poussière et de la brocante.
Tu te recules enfin d'un pas, le coeur battant.
"Robbie"
Tu aimes le calme de tes lèvres qui bougent dans un simple souffle. Qui peut prétendre pouvoir crier des vers enflammés à l'être aimé tout en gardant un silence assourdissant? Toi. Juste toi. Tu le détaille, yeux dans les yeux. Les petites rides, son sourire... son inquiétude. Tu suis son regard. Ah! Le chat! Ah! Les pattes d'acier!
Tu souris et secoue la tête.
"Je suis tombé, c'est tout."
On ne dira pas où. On ne dira pas comment. Et surtout pas pour qui. Ou plutôt... pour quoi. Depuis un mois et demi, tu doutes de toi. Tu doutes de tes yeux. Tu doutes de tes oreilles. De ton nez. De tes mains. Tu doutes de tout. Tu doutes de tes rêves, tu doutes de tes contes à dormir debout. Tu doutes de la réalité. Tu doutes que l'homme qui est en face de toi soit vraiment là. Un joli rêve trop vivace? Peut-être. Ça n'a pas d'importance. Ton sourire s'élargit. Premier petit mensonge. Juste un petit mensonge.
"Tout va bien."
Tout va bien, oui. Robbie est là. Et s'il s'évapore dans deux minutes, ce sera deux minutes de grâce, c'est tout. Le chat miaule et tourne autour de vos jambes. Mister Binx est-il vraiment là ou à l'appartement? Pfff.... Tout ça devient fatiguant.
Toi? Toi, tu vas bien, Robbie?
Le mirage éveillé se baisse et ramasse un bout de métal tordu. Le porte à son visage.
Mouvement de recul. Instinctif. Primaire. Héréditaire. Ton sang frelaté ne fait qu'un tour, dans le creux de tes tempes.
Loup.
Chasseur. Est-il chasseur?
Alors qui est le chassé?
Secoues-toi les puces. C'est Robbie. C'est Robbie, bordel! Toi tu aussi, tu reprends ton masque. Ton masque d'innocence. Ton masque d'amant. Ta main effleure le métal tiède, comme pour s'assurer qu'il est bien là.
Tes mains voltigent de plus belle.
"Féroce. Tu as l'air féroce. L'autre toi. Le liup. Celui que je ne connais pas. Pas encore."
Sourire.
"Si toi, tu es le loup, qui suis-je? Tu me raconteras?"
Iman Maier
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"Tu es la lune." Le masque disparaît. Abandonné sur le sable. Il sera toujours temps de venir le rechercher, on trouve tellement de curiosités sur une plage, c'est la brocante de la nature... Un joli coquillage, un bout de bois flotté, un bijou perdu, une montre oubliée, un vestige de naufrage dévoré par le sel. Iman doit expliquer qu'il porte un autre nom.
Ce serait plus facile à la maison, et puis, il commence à faire froid : est-ce le vent qui s'est levé, ou le souvenir si proche de la solitude qui menace de les envelopper à nouveau ? Quand on trouve un trésor sur la plage, on le ramène vite chez soi... Et celui-là, ce n'est pas pour lui trouver une jolie demeure qui l'accueillera et le chérira. Une brocante, c'est un refuge à animaux, dont les animaux sont des objets. Alors une plage est un refuge ? Puisqu'une plage est une brocante. La tête lui tourne tout à coup et Iman doit s'asseoir un peu sur le sable, au milieu des herbes hautes à la pâleur bleutée, qui s'agitent dans le vent.
De toute façon, avec ce grand masque à la main, il ne pourrait pas s'exprimer.
"Je ne suis pas féroce, je suis allé en cage mais j'en suis sorti, et maintenant je suis juste un promeneur, un gentil poète. Tu m'as suivi jusqu'ici, suis-moi encore un peu..."
Comme il avait envie de demander pardon ! Mais ce ne serait pas accepté, Davie n'accepterait jamais qu'il s'agenouille devant lui et s'accroche à sa main comme à une bouée de sauvetage et remette son sort entre ses mains. (Si, peut-être, mais pas pour demander pardon.) Comme il avait envie, pourtant ! Il le ferait plus tard, quand il aurait infligé la peine, les vérités qu'il n'avait pas dévoilées lors de son départ. Elles feraient moins mal aujourd'hui parce que l'absence était passée, sa survie était assurée. Ce n'était qu'une vilaine histoire que personne n'avait envie d'entendre. Mais pas une seconde il n'envisageait de mentir.
Suivant le chemin, il entrelaça leurs doigts, lui embrassa la joue, puis le lâcha à regret, pour distiller déjà quelques détails.
"Mon père a eu des soucis, j'ai dû l'aider et maintenant il habite ici. Mais notre relation s'est beaucoup améliorée et je serai fier de te présenter."
Il aimait parler avec ses mains, d'abord parce que c'était sa langue maternelle et qu'elle possédait plus de nuances à ses yeux que celle dans laquelle il écrivait des poèmes. Ensuite, parce que Davie le dévorait des yeux, par nécessité. Ces yeux-là auraient pu le contempler intensément pendant de longues heures sans se lasser, il le savait par expérience. Il n'avait jamais cette impression insidieuse qui se produisait parfois avec d'autres personnes, de le déranger en réclamant son attention.
Et il y avait l'autre honte, l'autre culpabilité. Il avait été diagnostiqué immédiatement dès sa visite médicale, à l'entrée dans la prison, et pris en charge et placé sous traitement, et il était parfaitement asymptomatique. Il n'était pas en danger, personne n'était en danger avec lui. Il suffisait d'être sérieux et responsable et de prendre quelques petites précautions, qui n'avaient rien de contraignant. Mais s'il avait laissé ce présent d'adieu à Robbie sans le savoir... Lui, combien de temps avait-il laissé passer avant de s'en apercevoir ? Ce n'était pas exactement quelqu'un qui prenait soin de lui-même.
"Tu dis que tout va bien - Tu es en bonne santé ?" Malgré lui, Iman sentait ses yeux se remplir de larmes tout à coup. Il n'avait vraiment pas envie de parler de ça. "Je me suis fait beaucoup de souci pour toi." Il revivait des nuits et des nuits d'angoisse et de cauchemars et il fut obligé de se taire, reprenant son compagnon dans ses bras pour le bercer doucement, le visage enfoui contre son cou. Il n'avait pas vraiment besoin de parler pour le moment, juste d'écouter.
Et il parlait, d'une certaine façon. Tout dans son attitude exprimait à quel point il avait rêvé de parvenir à nouveau à ces plaisirs simples : tenir Davie serré contre lui. Respirer l'odeur de sa peau et de ses vêtements. Le caresser de son souffle. Veiller sur lui. Partager sa chaleur. Tout ça ne nécessitait aucun poème, ni même aucun mot. D'ailleurs, aucun n'aurait pu être assez intense pour exprimer tout ce qui se débattait dans son coeur.
Ce serait plus facile à la maison, et puis, il commence à faire froid : est-ce le vent qui s'est levé, ou le souvenir si proche de la solitude qui menace de les envelopper à nouveau ? Quand on trouve un trésor sur la plage, on le ramène vite chez soi... Et celui-là, ce n'est pas pour lui trouver une jolie demeure qui l'accueillera et le chérira. Une brocante, c'est un refuge à animaux, dont les animaux sont des objets. Alors une plage est un refuge ? Puisqu'une plage est une brocante. La tête lui tourne tout à coup et Iman doit s'asseoir un peu sur le sable, au milieu des herbes hautes à la pâleur bleutée, qui s'agitent dans le vent.
De toute façon, avec ce grand masque à la main, il ne pourrait pas s'exprimer.
"Je ne suis pas féroce, je suis allé en cage mais j'en suis sorti, et maintenant je suis juste un promeneur, un gentil poète. Tu m'as suivi jusqu'ici, suis-moi encore un peu..."
Comme il avait envie de demander pardon ! Mais ce ne serait pas accepté, Davie n'accepterait jamais qu'il s'agenouille devant lui et s'accroche à sa main comme à une bouée de sauvetage et remette son sort entre ses mains. (Si, peut-être, mais pas pour demander pardon.) Comme il avait envie, pourtant ! Il le ferait plus tard, quand il aurait infligé la peine, les vérités qu'il n'avait pas dévoilées lors de son départ. Elles feraient moins mal aujourd'hui parce que l'absence était passée, sa survie était assurée. Ce n'était qu'une vilaine histoire que personne n'avait envie d'entendre. Mais pas une seconde il n'envisageait de mentir.
Suivant le chemin, il entrelaça leurs doigts, lui embrassa la joue, puis le lâcha à regret, pour distiller déjà quelques détails.
"Mon père a eu des soucis, j'ai dû l'aider et maintenant il habite ici. Mais notre relation s'est beaucoup améliorée et je serai fier de te présenter."
Il aimait parler avec ses mains, d'abord parce que c'était sa langue maternelle et qu'elle possédait plus de nuances à ses yeux que celle dans laquelle il écrivait des poèmes. Ensuite, parce que Davie le dévorait des yeux, par nécessité. Ces yeux-là auraient pu le contempler intensément pendant de longues heures sans se lasser, il le savait par expérience. Il n'avait jamais cette impression insidieuse qui se produisait parfois avec d'autres personnes, de le déranger en réclamant son attention.
Et il y avait l'autre honte, l'autre culpabilité. Il avait été diagnostiqué immédiatement dès sa visite médicale, à l'entrée dans la prison, et pris en charge et placé sous traitement, et il était parfaitement asymptomatique. Il n'était pas en danger, personne n'était en danger avec lui. Il suffisait d'être sérieux et responsable et de prendre quelques petites précautions, qui n'avaient rien de contraignant. Mais s'il avait laissé ce présent d'adieu à Robbie sans le savoir... Lui, combien de temps avait-il laissé passer avant de s'en apercevoir ? Ce n'était pas exactement quelqu'un qui prenait soin de lui-même.
"Tu dis que tout va bien - Tu es en bonne santé ?" Malgré lui, Iman sentait ses yeux se remplir de larmes tout à coup. Il n'avait vraiment pas envie de parler de ça. "Je me suis fait beaucoup de souci pour toi." Il revivait des nuits et des nuits d'angoisse et de cauchemars et il fut obligé de se taire, reprenant son compagnon dans ses bras pour le bercer doucement, le visage enfoui contre son cou. Il n'avait pas vraiment besoin de parler pour le moment, juste d'écouter.
Et il parlait, d'une certaine façon. Tout dans son attitude exprimait à quel point il avait rêvé de parvenir à nouveau à ces plaisirs simples : tenir Davie serré contre lui. Respirer l'odeur de sa peau et de ses vêtements. Le caresser de son souffle. Veiller sur lui. Partager sa chaleur. Tout ça ne nécessitait aucun poème, ni même aucun mot. D'ailleurs, aucun n'aurait pu être assez intense pour exprimer tout ce qui se débattait dans son coeur.
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