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Náttmál - ft Lauren

2 participants
Jakob Morgensen
Jakob Morgensen

Náttmál

BlackDog & ValRaven

Janvier 1994
tw : Mort, violence



Les murmures écorchés
Sous les arbres torves,
La carcasse éventrée
En régal de vive larve.

L’œil unique tangue
Au frêne suprême,
Pendu comme la langue,
Chien corbeau du totem.

J’irai comme le souffle,
J’irai comme l’ombre
Pied sur, âme saoule ;

Des souvenirs sournois
Plein les décombres
De mon cœur glacé d’effroi.

Ambiance:

Le vent en bourrasques horizontales. Torrents aériens des divinités ancestrales. Le hurlement dans la gueule ouverte. La cavalcade entre les collines. Une frénésie malade. Un désespoir souverain. Cette claque dans la nuque. L’attaque qui découpe la chaire exposée.

Le froid vicieux pénètre les os vieux. Le froid règne d’une humide vertu. Des longs doigts de brume pâle serpentent d’un vallon à l’autre. Une main aux articulations sèchent qui se resserrent sur les poumons éprouvés. Un rapace en mal d’avidité.

La neige est tombée, juste de quoi recouvrir le champ de bruyère et de genêts d’une couche fine et éparse. Un maigre linceul pour la lande désertique et stérile. L’hiver en breloque. La poudre est mince, elle craque sous le pas rapide, elle s’envole en nuée d’insectes cristallisés.

La terre est de son brun le plus foncé. Elle se fissure. Peut être qu’en jetant un œil on verra aux profondeurs danser les ombres rougeoyantes. Les pierres coupantes en murets brisés, le long des allées d’anciens pâturages. Une ligne maladroite qui ondule.

Les nuages sont lourds, bas dans le ciel de plomb. Ils s’assemblent en orgie magnétique, mastodontes des entités démoniques. Noirs comme la colère ; sombres comme la misère. Le grondement résonne. Grave. Immense. Il englobe tous les autres sons.

Un sonnet de fin du monde.

L’anthracite du long manteau contraste dans le décor mortuaire. L’écharpe noire claque dans le dos pareille aux ailes décharnées de quelques corbeaux. La bête avance. La bête approche. A pas de loup sur les sentiers accidentés d’un lieu maudit. Chapelle à ciel ouvert. Mausolée interdit. Jakob va entre les arbrisseaux tordus. Le regard froid, toujours en avant. Une silhouette d’ombre à la tête d’argent. Il fait silence dans l’esprit plein des souvenirs rugueux mais ne parvient pas à museler la tempête intérieure. Les images d’une vision redoutée. Le supplice de la vérité.

L’âme gronde comme le tonnerre sur la lande. La nuit vient.


Lauren Turner
Lauren Turner

NÁTTMÁL

Daddy & Laurie

Janvier 1994
tw : Mort, violence, pensées noires, vulgarité

Le doigt glissant contre le sol enneigé, Lauren était agenouillée là. Le vent lui soulevait les cheveux et chaque vrombissement au loin lui laissait penser que la météo ne s’améliorerait pas. Et pourtant. Elle se trouvait là. Larmes ruisselant sur ses joues, le cœur en peine face à ce lieu qui signifiait tant pour elle et le reste de sa famille. Au loin, la noirceur du ciel annonçait une suite violente. L’herbe dépassant la fine couche immaculée se soulevait autour d’elle, faisant virevolter ce qui avait pu tomber des arbres dernièrement. Face à elle, les arbres lui renvoyaient de violents souvenirs d’un accident qu’elle s’était imaginé encore et encore, à défaut d’y avoir assisté. Imaginant l’horreur vécue, devinant presque parfois les cris de sa mère accompagnant la panique de son père.

Mais pourquoi être venue ici ? Même Lauren commençait à en douter. Une capacité apparue il y a peu, le besoin de la comprendre, la saisir, la maîtriser, sans vraiment y parvenir. Elle avait lu, tellement lu à son sujet, planquée dans la bibliothèque de Jakob, mais tout restait flou. Et tous les livres disaient la même chose : chacun percevait sa capacité d’une manière différente. Alors des informations, elle en avait, mais elle en savait quoi de plus ? Rien. Absolument rien. Plantée sur la case départ comme à chaque fois.

Elle s’était donc dit que de venir sur le lieu du drame pourrait réveiller quelque chose, peut-être. Elle avait déjà remarqué que les choses pouvaient se manifester plus facilement dans des lieux gorgés d’histoire, comme le cimetière. Sauf qu’elle ne saisissait toujours pas à quel moment exactement.

Elle soupira, Lauren, fatiguée et désespérée même peut-être. « T’es vraiment qu’une conne putain… » Le silence en échos à sa douleur. Car ils ne reviendraient pas, jamais. Même pas en murmure malgré ce qu’elle avait pu s’imaginer. Idiote Turner à penser que tout changerait en venant ici. Et même si elle les avait entendus, ça aurait changé quoi ? Ils ne lui auraient pas lâché une parole sympathique et des mots doux, ni même une tape dans le dos. T’as plus rien à attendre d’eux, Lauren. Ils sont morts et c’est comme ça. Sois pas conne. Faudra compter que sur toi-même pour réussir à comprendre cette foutue capacité que t’as même pas envie de connaître.

Ça faisait des heures pourtant qu’elle se trouvait là, à renifler, sans que le moindre signe ne se manifeste. L’oreille tendue, le cœur en attente. Ce fut un autre bruit, plus lointain, qui fit sursauter son esprit. Elle avait baissé sa garde, ce qu’elle ne faisait jamais. Attrapant lentement le couteau qu’elle avait pris l’habitude de glisser à sa ceinture, elle se releva doucement avant de se tourner et chercher la source du bruit. Ce fut une ombre qu’elle aperçut non loin. Et en une seule seconde, elle soupira et rangea son couteau dans son petit fourreau. « Tu me suis ou tu te promènes ? » qu’elle lança sur un ton provocateur. Elle se retourna légèrement pour essuyer ses joues humides et ne pas laisser paraître à son père d’adoption qu’ici, elle s’était laissé aller, puis retrouva son regard. « J’pensais pas te voir ici… »
Jakob Morgensen
Jakob Morgensen

Náttmál

BlackDog & ValRaven

Janvier 1994
tw : Mort, violence


Un coin isolé du reste du monde. Voilà où il se trouvait.

Les arbres étaient les mêmes bien que toujours différents. Une fois morts, une fois vivants. Les bosquets silencieux semblaient comme piquées de touches d’un rouge vermeil. Baies mortelles aux délicieux aspects.
La bruyère combattait les ronces voraces, monstres rampant parés de griffes coriaces. Le vent soufflait, claquait, hurlait aux oreilles agressées. Des bourrasques en bouquets.
Un vieux muret, couvert d’un lichen gris-vert, remontait bien maladroitement le long d’une pente, se faisant l’image d’une colonne vertébrale surgissant des profondeurs infernales. Dans l’air régnait un parfum étrange et chimique, peut être dû aux tourments magnétiques qui s’embrasaient dans les hauteurs. Les effluves de l’éther, les saveurs d’un orage.
La lumière baissait de minutes en minutes et ne posait plus sur les environs qu’un éclat d’éclipse ; un filtre bleuté qui contrastait avec le linceul givré.

Élément principal du tableau : le corps sombre perdu dans l’océan d’un blanc sale. Silhouette agenouillée au centre de cette composition picturale.

Lauren

La tête penchée en avant, les cheveux en bataille dans l’agitation des courants d’air, les vêtements virevoltants. Des allures de sorcière au cœur de la lande. Banshee, messagère des morts. Pour le pire et le pire seulement.

Le regard du père s’attarda sur l’arrière plan figé dans le sel de cet hiver violent. Il scruta les éléments du décor, bien qu’en connaissant déjà les moindres détails. Des images revenaient en cavalcade : La voiture accidentée, le regard vide de Hugh, le corps froid d’Helen, et la pluie, toujours la pluie. Une main invisible lui compressa la poitrine comme à chacune de ses visites. Cela faisait dix-sept ans, pourtant, des images restaient comme gravées sur la rétine de ses yeux ; en superposition macabre d’un paysage déjà sinistre.
Les restes de cette nuit d’horreur imprégnaient encore les lieux. Résidus parasites, on sentait l’air les cristalliser tout autour de soi. Peut être même faisait-il encore plus froid. Il y avait ici quelque chose qui vous infectait le sang. Une malédiction.  

Jakob n’aimait pas savoir ses filles ici.
Il avait toujours cherché à les en détourner sans jamais y arriver. Deux têtues à valser avec les fantômes du passé. A les chercher. Encore, toujours. Quelque en fut le prix. Quelque en soit la folie. Sans doute n’avait-il pas été un bon modèle.

Il savait ce que Lauren était venue chercher ici. Il savait ce qu’elle avait espéré dès lors que les esprits lui avaient pour la première fois parlés. Mais de la voir ainsi, effondrée, tout portait à croire qu’elle n’y était pas parvenue. Pas encore.
Jakob ne doutait pas -il n’avait jamais douté- des capacités de sa fille aînée. Il savait qu’elle y arriverait un jour. Elle avait la détermination et travaillait comme personne lorsqu’elle voulait. Mais était-ce une bonne chose pour autant ? Y parvenir. Parler à ses parents. Les voix des morts sont dures à entendre, plus encore lorsque le trépas est cruel. Sans doute n’était-ce pas à lui de juger. Sans doute était-ce le chemin qu’elle seule avait à tracer. Pourtant. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de vouloir l’aider.

Pendant quelques secondes, Jakob se demanda s’il n’allait pas partir comme il était venu : sans un bruit afin de laisser la jeune femme avec ses propres pensées. Il ne put s’y résoudre, et d’un pas soudain sonore, se révéla à elle. Immédiatement, la jeune Hurleuse se tendit et se redressa, mais moins d’une seconde plus tard, elle l’avait reconnu.
La provocation n’obtint aucune réponse. Tu me suis ou tu te promènes? Aucune des deux… les deux à la fois.

Jakob s’arrêta à quelques mètres d’elle, les mains plongées dans ses poches de son long manteau anthracite. Il la regardait fixement avec sur le visage cette expression insondable qui le caractérisait : pas de la colère, pas de la joie. Une neutralité à mettre mal à l’aise, un regard froid.

« Je viens parfois... » Dit-il enfin. Il n’était pas fâché. Sa voix était basse. Un chuchotement dans le vent.
Oui, il venait. Peu en vérité. De moins en moins. Au départ, revenir ici ravivait la douleur et excitait sa vengeance, mais avec le temps, une forme de lassitude l’avait gagné et il ne se rendait dans le vallon que pour prier. Lorsqu’il se sentait seul. Lorsqu’il avait besoin d’aide. Un peu comme Lauren désormais.

Au bout d’un temps assez long à se fixer, il détourna le regard et s’en alla vers le tronc couché d’un arbre tombé l’été dernier pour s’y asseoir. D’un haussement de sourcils, il invita la jeune femme à le rejoindre puis il posa ses coudes sur ses genoux et le menton sur ses poings.

« J’ai vu que tu serais là... » avoua-t-il enfin en tapotant du bout de l’index sa tempe gauche, un sourire triste presque invisible aux lèves. Une façon discrète de lui faire comprendre qu’il était venu pour elle, une autre de lui rappeler qu’elle n’était pas seule. Pas la seule à être en décalage avec le reste de l’humanité. Pas la seule à voir parfois son esprit lui échapper et le monde se dérober sous ses pieds. Pas seule aussi à être paumée. Entre les limbes et la mer, entre la lande et son irréalité. Entre futur, présent, passé.

« Parle moi...» Je connais tes échecs, mais je veux les entendre de toi.

Parle moi. Comme petite, comme autrefois lorsque ça ne comptait pas.

Saisis la main que je te tends dans le froid.
Lauren Turner
Lauren Turner

NÁTTMÁL

Daddy & Laurie

Janvier 1994
tw : Mort, violence, pensées noires, vulgarité

La lassitude, la fatigue, la colère, la tristesse, tout ça à la fois qui rendait Lauren si âcre face à cette vie en qui elle avait perdu foi. A force de lutter et de perdre, à force de chercher sans résultats, à force d’essayer de sourire dans un monde emplis de souvenirs qui ne faisait que le lui faire perdre. Quel but dans ce cas ? A quoi bon ?

Elle fixait cet homme qu’elle avait du mal à appeler papa mais qui dans d’autres contextes l’était autant que celui qu’elle avait perdu. Toujours là pour la remettre sur la voie, malgré sa réticence. Son guide et bien plus encore. Celui qu’elle avait appris à aimer au-delà de ce qu’elle s’était imaginée capable après le drame. Car il méritait cet amour même s’il en pensait le contraire.

Il ne souriait pas, mais le faisait-il seulement parfois ? Oui. Quand la situation s’y portait. Jamais dans le vide contrairement à tous ces gens faux que Lauren avait en mépris. Ceux du bar, d’autres hurleurs, à lui sourire car ils connaissaient son histoire. Par pitié. Mais pas Jakob. Jakob il souriait quand il le fallait et uniquement quand il le fallait.

C’est pourquoi elle le fixait, cherchant au fond de son regard ce qu’il ressentait, là, tout de suite, ce qu’il allait répliquer à ses attaques habituelles. Impassible, toujours. Un mur. Mais pas pour Lauren. Elle décelait cette petite étincelle dans l’iris qui lui disait que non, il n’était pas fâché, juste inquiet. Et ses paroles le lui confirmèrent, du moins, son ton. Après 17 ans, on ne le lui faisait plus à la Turner. Elle comprit d’ailleurs très vite le fond de ses paroles et baissa la tête. Lui aussi il venait. A chercher ce qu’ils cherchaient tous. Des réponses. Tous n’avaient pas les mêmes questions, mais tous demandaient à en savoir plus.

Incapable de répondre et planquée derrière sa façade de cold bitch, Lauren laissa Jakob faire le premier pas. C’était plus facile. Et ce dernier la connaissait bien assez pour savoir qu’il devait le faire s’il voulait obtenir quelque chose d’elle. C’est ce qu’il fit. D’un pas lent, il se dirigea vers ce tronc qui semblait les avoir attendu ici depuis tout ce temps. Une invitation que Lauren préféra d’abord décliner par son silence. Elle ne voulait pas parler, encore moins de ça.

Et pourtant. En une phrase, il la déstabilisa. Il la comprenait, lui, savait ce que c’était que d’être en décalage par rapport aux autres, d’être différent. Elle soupira, longuement. Pour lui montrer qu’il la soulait d’abord, mais surtout pour évacuer ce trop plein d’émotions qui la bouffait depuis qu’elle avait foutu les pieds ici. Parle moi…. Un appel à la confession que Lauren n’appréciait jamais. Et pourtant encore. Jakob avait autrefois cette emprise sur elle qu’elle adorait, à rendre un quotidien difficile pour une gamine de son âge plus heureux, malgré les circonstances. A vivre une relation père/fille comme elle l’aurait fait autrefois avec celui qu’elle avait perdu. Il était devenu plus que juste Jakob, l’ami de ses parents. Il était devenu Daddy, celui qui aurait un impact sur sa vie qu’elle le veuille ou non, qui la guiderait au-travers des épreuves avec ou sans son consentement. Car c’était ce pourquoi il avait été choisi.

Elle soupira une fois encore et hésita avant de finalement s’avouer vaincue et de le rejoindre sur ce tronc. Elle imita sa posture et laissa son regard se perdre en face d’elle. Au loin, la tempête s’approchait, grandissait, mais ça ne l’effrayait pas. Les herbes virevoltaient de plus belles et l’ambiance chaotique lui rapportait un sentiment spécial, libérateur. La colère de la nature face à l’humain bien impuissant.

« J’voulais essayer… » Essayer d’obtenir quelque chose. Juste un tout petit quelque chose, de quoi redonner de l’espoir et de l’estime. Parce que ça faisait mal là-dedans. De pas y arriver, de pas savoir, de constamment faire face à l’échec. « Comment t’as fait pour y arriver ? J’y arrive pas, j’ai beau essayer encore et encore et… rien ne vient. Rien du tout… » Déverser tes sentiments, juste un peu, lui donner quelque chose en retour, parce qu’il le méritait malgré ce que tu peux bien penser, hein Turner ? « J’suis un peu fatiguée d’essayer, alors… J’me suis dit qu’ici… » La voix se brisa en une seconde, elle se râcla la gorge pour faire mine de rien. « … qu’ici tout serait différent… » Le corps qui se souleva sous un autre soupire. « J’me suis trompée visiblement… Encore une fois… »




Jakob Morgensen
Jakob Morgensen

Náttmál

BlackDog & ValRaven

Janvier 1994
tw : Mort, violence


Danse ma tempête. Valse dans le tumulte de tes nuées. Un manège d’alizées, aussi noir que la suie ; le charbon en coton des cheminées. Glissages pour les oiseaux voltigeurs, Arabesques, bourrasques et tout ce tonnerre en cabriole.
Oui danse ma tempête. Frappe mon visage de tes révérences, pénètre ma chaire d’une humidité en pointe d'acier. Je m’offre à toi. A ta colère. A ton enfer. Au souvenir que tu portes en sautoir. Mes morts pour tes étendards.


La fatigue étreignait le cœur de Jakob. Une fatigue invasive, une lassitude qui opprime comme un tyran. Se trouver en ces lieux était un coup de couteau planté dans une plaie jamais cicatrisée. Le sang invisible se déversait sur la bruyère. Des clochettes écarlates sublimait la douleur profonde et inavouable, tintée de milles regrets. Etre ici était toujours dangereux pour lui. Il y sombrait un peu plus dans les souvenirs d’un passé révolu. Un pas en avant vers la folie, vers la tombe grande ouverte qui attendait son esprit.

Mais aujourd’hui, c’était différent. Il n’était pas ici seul face au tourment de ses images qui le harcelaient sans cesse. Il était là avec elle. Il était là pour elle. Pour sa fille, pour sa grande-petite Laurie. Aussi, usant de cette expérience qui était la sienne, la Mâchoire occulta ces propres doutes pour se concentrer sur ceux de la jeune femme. Élever ces deux pupilles n’avait pas été une mince affaire. Souvent il se disait qu’il avait peut être fait plus de mal que de bien lorsqu’il constatait la souffrance qu’il lisait en permanence dans leurs yeux. Douleur et colère. Rage et désespoir.

Malgré tout, il n’abandonnait jamais. Il ne lâchait rien. C’était sa tâche. Son combat.

Assit sur le tronc, les coudes posés sur les genoux, il attendait. Ses yeux ne trahissait aucun agacement, rien que la patience de celui qui sera toujours là. Toujours.
Il était calme, du moins en apparence. L’image d’un point d’encrage, une bouée à laquelle s’accrocher. En face, la dualité en habitude. Lauren à soupirer une exaspération coutumière, pour ne pas perdre la lutte. Mais elle avait besoin d’aide, elle le savait. De lui peut être pas, mais d’aide ça oui. Car elle était grande, l’aînée Turner, mais aussi perdue ; égarée ; paumée, comme sa sœur.

Au bout d’un temps long qui laissa l’orage s’approcher un peu plus, la jeune femme vint le rejoindre sur le tronc. Côte à côté à présent. Deux silhouettes immobiles avec des manteaux battus pas les vents. Un chien noir, tremblant d’impossible. Un vieux corbeau, perclus d’impuissance. Fier duo. Pitoyables errants. Que faire à présent ?

Alors, en même temps que la foudre au loin, vint les mots de sa fille. L’aveu aux bords des lèvres qui confirma ses craintes. Ce n’était pas chose facile que de faire parler Lauren. Elle était secrète, distante, emprisonnée dans ce mépris qui lui servait d’armure. Mais parfois, ça venait, et alors Jakob percevait toute la détresse de son âme. Tout ce qu’il aurait voulu réparer. Ces larmes fantômes qu’il aurait tellement aimé savoir sécher.
Mais elle était si fière, si digne dans sa douleur, qu’elle n’aurait jamais osé les laisser couler. Comme elle lui rappelait sa mère à cet instant.

La voix de la jeune femme se tut, laissant le chant du vent reprendre de plus belle. La tension électrique qui traversait la lande les entourait toujours davantage. Bientôt, il pleuvrait sûrement. Le danois laissa passer un temps. Il cherchait dans son esprit les mots justes, les paroles vraies qu’il lui devait. Une façon de l’aider et de la rassurer.

Enfin, il prit la parole. Sa voix était lente, elle couvrait à peine les bourrasques qui leur giflaient les joues, faisant un chaos de leurs cheveux. L’humidité d’un œil à moitié voilé.

« Je ne sais plus si je t’en ai déjà parlé… mais j’ai eu une sœur. C’était juste après la guerre, j’avais six ans et nous venions de rentrer à Copenhague...» En parler lui serrait toujours la gorge, des notes d’un accent du nord faisant surface sur sa langue. Étrangement, un lointain sourire étirait le coin d’une lèvre. Un sourire sans aucune joie « La première fois qu’on l’a mis dans mes bras, je me suis mis à pleurer, à hurler même. Je l’ai presque jeté au sol. Mon père me gronda, mais ma mère, elle avait comprit. Elle savait… elle savait ce que j’étais. » Les yeux dans le vide, le cœur dans le vague des souvenirs qui sortaient avec lenteur. Un mot après l’autre, une syllabe pour en écorcher une autre. Une vérité crue. « Je l’avais vu morte. Au lieu de ce nourrisson dans mes bras ; au lieu de ma petite sœur, c’était son cadavre que je m’étais vu porter… La vision ne se concrétisa que quelques années plus tard, mais pendant tout le temps qu’elle vécue, je ne parvins jamais à me défaire de cette image. » Une envie de cigarette le prit, mais il rejeta l’idée. Avec un vent pareil il serait bien en peine de l’allumer. A la place il frotta ses deux paumes l’une contre l’autre. Il parlait rarement de lui, de son passé, avec ses filles. Ce n’était pas des choses qu’il aimait évoquer. Mais il savait qu’il y avait parfois quelques leçons à en tirer. «Pendant des années, j’ai été l’esclave de ses visions qui m’assaillaient sans que je puisse rien y faire. J’étais figé dans la peur de les voir se réaliser, de voir soudain des visages morts se superposer à ceux des vivants. Ma mère, qui était elle-même douée de facultés occultes, m’aida à apprivoiser ce don, cette malédiction comme je la voyais alors. Avec le temps, je suis parvenu à la dompter, à la maîtriser, à l’utiliser. Du moins, c’est ce que dans mon arrogance j’ai longtemps cru...Jusqu’à ce qu’elle me trahisse. Jusqu’à ce que je comprenne qu’au fond, je ne maîtrisais rien... rien du tout » Ses yeux traversèrent le paysage tremblotant. La lumière malade et pâle de cette journée en bout de course. Le temps avait effacé les traces du drame qui était survenu dans ce petite endroit tranquille écarté du monde mais les spectres avaient bonne mémoire. Le prix de son insolence.

Lentement, son visage se tourna vers celui de sa fille adoptive. Il chercha entre les mèches folles sont regard, fier et triste à la fois, perdu, beau. Alors que ses mots étaient rudes, sa voix elle ne l’était pas. C’était celle d’autrefois, la voix sereine de quand il lui lisait des histoires pour l’endormir quand elle était petite. De quand il lui promettait de toujours veiller sur elle, de chasser les monstres sous le lit.

« Comme toi aujourd’hui, j’ai cherché à contrôler ce quelque chose que l’on ne peut atteindre, à l'enfermer avant qu'il ne me possède tout entier. Mais tente d’attraper le vent, il s’échappera ; tente d’emprisonner l’eau, elle explosera. Il faut, je pense, admettre que l’on ne peut pas le maîtriser tout en essayant de ne pas le laisser nous dévorer. Entre la retenue et le lâché prise. Nous devons l’accepter, tu comprends ? Car cette malédiction, ce don ou quelque soit le nom qu’on lui donne, fait partie de nous. Il fait partie de toi Lauren... » Le père qui ne l’était pas regardait la femme qui était sa fille. Il aurait voulu la serrer dans ses bras comme avant mais il fit preuve de pudeur. Il ne voulait pas la brusquer. Il avait encore des mots à dire. « Je sais que tu essayes… que tu y mets toutes tes forces pour y arriver… mais tu dois avant tout accepter qui tu es, écouter cette force qui t’habite, la laisser sortir et exister, pas pour toi, pas contre toi mais avec toi. Tu ne te trompes que lorsque tu doutes de tout ce que tu es capable d’accomplir min Datter. Moi je ne doute pas de toi… je n’ai jamais douté… pas une seule seconde. » Un sourire, un vrai sourire cette fois, tira la commissure de ses lèvres. Le masque d’impassibilité tombait face à la jeune femme perdue dans les vents et la lande, face à sa peine et à sa détresse. « Si tu le souhaites… je peux essayer de te t’aider.. de te guider... » pour que tu ne reproduises pas les erreurs que j’ai moi-même commises par vanité.

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